Famille de paysans dans un intérieur Le Nain Louis

Famille de paysans dans un intérieur

Auteur

Dimensions

H. : 113 cm ; L. : 159 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

Vers 1642

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Quelle est la signification de cette scène paysanne ? Le tableau représente-t-il une réalité observée, ou bien une réalité repensée ?

Trois frères pour un atelier

Antoine, Louis et Mathieu Le Nain sont trois frères peintres issus d'une famille bourgeoise aisée, originaire de Laon. En 1629, ils s'installent dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, alors situé hors les murs de Paris, et travaillent ensemble jusqu'au décès des deux aînés, Antoine et Louis, en 1648. La célébrité des trois frères est attestée par la diversité des commandes connues, notamment celle du portrait des échevins de Paris en 1632, ainsi que par des textes de contemporains, fait assez rare à l'époque. Si aucun document ne permet de savoir comment les Le Nain se répartissaient le travail dans l'atelier, plusieurs styles, et donc plusieurs mains, sont détectables dans les œuvres qui nous sont parvenues : des scènes religieuses, une allégorie image 1, des portraits ainsi que de nombreuses représentations de la vie paysanne. Ces dernières sont aujourd'hui les peintures les plus célèbres de leur œuvre. Parmi elles, Famille de paysans dans un intérieur image principale, traditionnellement attribuée à Louis.

Un marché en pleine expansion

La forte concurrence qui régnait entre les peintres pour obtenir les grandes commandes de décor d'églises ou d'hôtels particuliers a pu inciter les Le Nain à se positionner sur le créneau de la peinture de scènes paysannes, moins prisé. Les trois frères étant originaires d'une région agricole, on a longtemps pensé que leurs peintures témoignaient de leur expérience personnelle. En réalité, elles s'inscrivent dans un courant relativement ancien, longtemps négligé par la critique et les historiens : celui de l'intérêt pour la réalité. Ainsi, dès la fin du Moyen Âge, les frères Limbourg décrivent les travaux des champs dans Les Très Riches Heures du duc de Berryimage 2. Le goût pour la représentation de la réalité rurale réapparaît plus tard, au XVIe siècle, dans l'œuvre de Pieter Brueghel le Vieux image 3. Les premières décennies du XVIIe siècle voient également s'épanouir une peinture décrivant les différents aspects de la vie quotidienne, qu'elle soit urbaine ou rurale. C'est dans ce contexte que s'inscrit Famille de paysans dans un intérieur image a

Une représentation de la condition paysanne ?

Le tableau image a montre une famille nombreuse, composée de trois adultes et de six enfants, rassemblée dans la salle commune de leur habitation. La plupart des membres du foyer sont réunis autour d'une table : les trois adultes, deux femmes et un homme, sont assis sur des chaises et regardent le peintre. Deux enfants, dont un jouant de la flûte image b, se tiennent debout près d'eux, tandis qu'un autre est assis parterre, près d'un chat. Ce dernier, caché derrière une soupière image c, semble surveiller un chien situé dans l'angle inférieur gauche de la toile. À l'arrière-plan, les trois autres enfants, devant la cheminée, regardent le feu qui chauffe la pièce.

Dans ce tableau au sujet d'apparence simple, Louis Le Nain montre toute l'étendue de son talent, notamment dans le traitement des vêtements portés par les personnages. Loin des couleurs vives, des tissus précieux et des dentelles de ceux représentés dans les portraits de citadins image 4, ils sont traités dans des camaïeux de gris et de bruns qui, associés à la texture du tissu, restituent parfaitement la simplicité et la solidité des habits portés par les paysans. Si ces couleurs évoquent le travail de la terre, les visages marqués des deux personnages les plus âgés image d témoignent quant à eux de la vie laborieuse qu'ils mènent. Le vêtement rapiécé du joueur de flûteimage b et les pieds nus des enfants traduisent la modestie de leur niveau de vie.

Une scène de repas ?

Bien que les personnages soient rassemblés autour d'une table, on peine à croire qu'il s'agit de la représentation d'un repas. Plusieurs détails sont effectivement troublants : quatre des personnages sont tournés vers le peintre, comme s'ils posaient et non comme s'ils s'apprêtaient à manger la présence d'une nappe blanche, par ailleurs mal mise, sur une table de ferme paraît incongrue en dehors d'un jour de fête les seuls aliments visibles dans le tableau sont le vin et la miche de pain que l'homme tient et s'apprête à couper, tandis que la soupière est posée parterre près du chat image c et qu'une seule écuelle est posée sur la table enfin, le verre de vin tenu par la femme âgée image d, matériau luxueux à cette époque, tranche nettement avec le reste de la vaisselle, en terre cuite.

La disposition des personnages, qui paraît très réfléchie et peu naturelle, crée un effet de symétrie qui confère à la scène un aspect calme, posé, assez classique, très éloigné de l'exubérance de certaines toiles flamandes telles que les scènes de repas de Jacob Jordaens image 5. Cette sérénité est renforcée par l'intensité des expressions des visages, dont la gravité semble témoigner d'une vie intérieure profonde.

Du pain et du vin

Les seuls aliments visibles sont le pain et le vin. Le verre à priori incongru chez des paysans laisse voir par transparence le liquide, ce que ne permet pas un gobelet de terre. Base de l'alimentation à l'époque, ces deux aliments sont aussi des symboles eucharistiques : ils rappellent au chrétien la présence de Jésus en référence au dernier repas du Christ et des Apôtres.

Un tableau à double sens

Fondé sur l'observation de la vie quotidienne paysanne de l'époque, ce tableau est une réinterprétation de la réalité, et non une imitation directe. Si cette œuvre est non seulement ambitieuse par son format – il s'agit du plus grand tableau de sujet paysan attribué aux Le Nain –, le soin apporté à la composition comme au traitement de la lumière, mêlant le rougeoiement du feu à la blondeur de la lumière naturelle venant de la droite, en fait l'une des peintures les plus réussies et les plus poétiques des trois frères.

Mais, au-delà de cette virtuosité, l'artiste s'inscrit dans une démarche fréquente au XVIIe siècle, celle de rechercher dans la réalité un support à une réflexion religieuse. En effet, dans ce tableau, les seuls aliments représentés sont le pain et le vin. Constituant la base de l'alimentation de l'époque, ces deux aliments sont également des symboles eucharistiques : ils rappellent au chrétien la présence de Jésus, en référence au dernier repas du Christ et des apôtres. C'est cette dimension sacrée qui différencie la démarche des artistes du XVIIe siècle et celle des réalistes du XIXe siècle, comme Gustave Courbet et Édouard Manet, plus soucieux d'une approche sociale.

Isabelle Bonithon

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/famille-de-paysans-dans-un-interieur

Publié le 27/04/2017

Ressources

Un texte sur la peinture baroque en France

http://www.aparences.net/periodes/peinture-baroque/la-france/

Une étude d’une œuvre de Louis Le Nain très proche du tableau commenté sur le site L’Histoire par l’image

https://www.histoire-image.org/etudes/monde-paysan-xviie-siecle

Glossaire

Eucharistie : Sacrement du christianisme par lequel, lors des offices religieux, sont commémorés le dernier repas du Christ avec les apôtres et son sacrifice sur la croix.