Anse de vase en forme de bouquetin ailé

Anse de vase

Détail des Lydiens apportant des vases aux anses en forme de taureaux ailés

Auteur

Dimensions

H. 26,5 cm ; L. 15 cm ; P. 10 cm

Provenance

Arménie ou Turquie

Technique

Orfèvrerie, Ciselure

Matériaux

Or (métal), Argent

Datation

Dynastie des Achéménides (539-330 av. J.-C.)

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

En quoi cette anse de vase reflète-t-elle le raffinement et le cosmopolitisme de l’empire perse achéménide ?

Depuis la Préhistoire, le bouquetin (ou ibex), chèvre sauvage des régions montagneuses, fascine chasseurs et artistes. Dans l'art de l'Iran, on le trouve représenté avec ses longues cornes arquées dès le IVe millénaire av. J.-C. image 1, puis debout ou affronté image 2 à partir du IIe millénaire av. J.-C.

Cette anse d'amphore en forme de bouquetin ailé image principale, en argent doré, traduit la persistance du goût pour ce motif en Iran. Découverte en Turquie ou en Arménie image 3, elle daterait en effet de la première moitié du IVe siècle av. J.-C. À cette époque, l'empire perse achéménide gouverne un territoire s'étendant des rives de la mer Égée (à l'ouest) à l'Indus (à l'est) image 4.

Une créature composite

Le bouquetin se dresse sur ses pattes postérieures, dans une attitude bondissante. Initialement, les sabots de ses pattes antérieures reposaient probablement sur le bord d'un vase, aujourd'hui disparu celui-ci devait comporter une seconde anse, peut-être celle conservée au musée de Berlin image 5, pour laquelle le bouquetin représenté possède aussi des ailes articulées, un détail rare. L'animal tourne la tête vers la gauche, comme pour attirer l'attention. Ce mouvement met en valeur ses immenses cornes et ses ailes, avec un dynamisme inhabituel dans l'art oriental, qui préfère les attitudes plus statiques.

Certains historiens d'art voient dans cette anse une influence grecque. Cette hypothèse serait corroborée par la présence d'un petit masque décoratif image c sur lequel reposent les pattes postérieures du bouquetin. Avec son nez très large, ses oreilles chevalines et sa barbe fournie, ce motif évoque en effet les traits du satyre Silène, créature hybride, mi-homme, mi-bouc, liée à l'ivresse dans la mythologie grecque. La représentation de cette divinité sur l'anse conviendrait parfaitement à la fonction du vase, peut-être une amphore ayant contenu du vin. D'autres historiens ont aussi pointé des similitudes avec des représentations du dieu égyptien Bès, associé au foyer. Ce masque serait ainsi le résultat d'une double influence, dont on connaît mal l'importance et le mode d'arrivée dans l'empire perse ; elle est cependant concomitante de la conquête de la Grèce orientale (Anatolie) et de l'Égypte par les Achéménides.

La somptuosité de la cour achéménide

La préciosité des matériaux dans lesquels a été réalisée cette anse s'accorde bien avec la sophistication de la sculpture qu'elle présente, entièrement en ronde bosse. La pièce a été réalisée en argent, selon la technique de la fonte à la cire perdue. Certaines parties du corps du bouquetin ont été partiellement rehaussées d'or et gravées : la tête, avec ses oreilles fines et sa longue barbe, les nodosités des cornes, la face externe des cuisses, la crinière image b, la queue (striée et en léger relief), les sabots et surtout les ailes L'utilisation de l'or et de l'argent correspond au goût des Perses pour les contrastes de couleur.

La richesse des matériaux employés rappelle le luxe dont s'entouraient les empereurs achéménides dans leurs lieux de résidence. Ce goût était tellement vif que les Perses allaient jusqu'à emporter des objets précieux dans leurs campements lors de leurs expéditions militaires. L'historien Hérodote (484-420 av. J.-C.) a raconté comment les Grecs, vainqueurs des Perses à Platées (479 av. J.-C.), avaient découvert sur les cadavres de leurs ennemis des bijoux et des armes en or et, dans leurs tentes, des lits dorés et de la vaisselle d'argent.

Malheureusement, seule une infime partie de l'orfèvrerie achéménide nous est parvenue. Le British Museum, à Londres, en conserve quelques pièces magnifiques au sein de l'ensemble dit trésor de l'Oxus, composé d'objets découverts au Tadjikistan image 3 image 4parmi elles, une anse d'argent doré en forme d'ibex, mais sans ailes image 7. Les vases achéménides à anses zoomorphes intégralement conservés sont encore plus rares.

Un cadeau pour un empereur perse ?

Œuvre d'art à part entière, l'anse en forme de bouquetin ornait probablement un vase d'apparat pouvant avoir fait partie des présents offerts à l'empereur de Perse par les peuples soumis à son autorité.

Le décor sculpté du palais impérial de Persépolis, capitale de l'Empire, représente de tels objets. Construit par Darius et agrandi par ses successeurs, le palais comportait une salle d'audience, dite apadana, accessible par deux escaliers ornés de bas-reliefs. Ces derniers montrent une cérémonie durant laquelle les représentants des vingt-trois provinces de l'Empire défilent en procession, apportant des cadeaux variés à l'empereur : animaux (lions, chevaux, chameaux, buffles, taureaux, béliers), armes, fourrures, étoffes, bijoux, coupes, etc. Parmi les pièces d'orfèvrerie présentées, on remarque une amphore aux anses en forme de bustes de rapaces offerte par des Arméniens image 9, ainsi que deux vases aux anses en forme de taureaux ailés apportés par des Lydiens image 10. Bien que fabriquées dans des régions éloignées, ces pièces sont très semblables. La forme des anses est très recherchée, tandis que la panse des récipients est plus simple, unie ou cannelée. Ces vases ont probablement été réalisés d'après des modèles émanant de la capitale, fusionnant les différents apports des provinces de l'Empire. Cette inspiration cosmopolite, loin de conduire à une surcharge décorative, manifeste le souci d'une élégance sobre. Elle est caractéristique du raffinement du style achéménide.

Après avoir exercé sa domination de la Méditerranée orientale à l'Indus, mais échoué à conquérir la Grèce, l'empire perse cède face à Alexandre le Grand, qui conquiert Persépolis en 331 av. J.-C. et ordonne sa destruction l'année suivante.

Sylvie Cuni-Gramont

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/anse-de-vase-en-forme-de-bouquetin-aile

Publié le 22/03/2022

Ressources

L’article de Wikipédia sur les Achéménides

https://fr.wikipedia.org/wiki/Ach%C3%A9m%C3%A9nides

L’article de Wikipédia sur Persépolis

https://fr.wikipedia.org/wiki/Pers%C3%A9polis

La notice de l’œuvre sur le site des collections du musée du Louvre

https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010151783

Une présentation du site de Persépolis sur le site de l’Unesco

https://whc.unesco.org/fr/list/114/

Glossaire

Perse : Ancien nom de l’Iran, notamment pendant l’Antiquité.

Achéménides : Première dynastie impériale de la Perse antique.

Fonte à la cire perdue : Technique de fonte inventée au début du IVe millénaire av. J.-C., qui consiste à remplacer la cire évacuée du moule par du métal en fusion. Pour ce faire, trois étapes sont nécessaires : – l’objet initial à mouler, réalisé en cire, est placé dans une gangue d’argile ; – la gangue d’argile est chauffée et la cire s’évacue par des canaux spécialement aménagés à cet effet ; – le métal fondu est introduit dans les creux ainsi obtenus par d’autres canaux prévus pour la coulée.

Ronde-bosse : Sculpture en trois dimensions, travaillée sur toutes ses faces. Toute statue est une ronde-bosse.

Hérodote : Historien grec du Ve siècle av. J.-C., qui voyagea à travers le territoire de l’ancien empire perse.

Lydie : Territoire de l’ouest anatolien, correspondant à l’actuelle région d’Izmir, en Turquie. Conquis par les Perses en 547 av. J.-C., il fut inclus dans leur Empire.

Platées : Ville antique du centre de la Grèce.

Cannelé : Comportant de larges rainures verticales.