Autoportrait en manteau de fourrure Dürer Albrecht

Autoportrait en manteau de fourrure

Dimensions

H. : 67,1 cm ; L. : 48,9 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur bois, Tilleul (bois)

Datation

1500

Lieu de conservation

Allemagne, Münich, Alte Pinacothèque

En se représentant ainsi, qu’a voulu signifier Albrecht Dürer ?

Sur un panneau vertical image principale, se détache la silhouette monumentale d'un jeune homme vu de face, à mi-corps, les cheveux ondulés tombant sur les épaules. Il est vêtu d'un élégant manteau brun ourlé de fourrure, qu'il semble tenir fermé avec sa main droite.

La lumière latérale met en valeur la partie droite de son visage, sa main et les boucles de sa chevelure. Quelques notes de blanc, comme le haut des manches ou une infime partie du col de la chemise, renforcent le contraste avec les parties plus sombres du tableau, tempérant la symétrie de la représentation.

De part et d'autre du visage, des inscriptions se détachent sur le fond noir : à gauche, l'année 1500 et le monogramme d'Albrecht Dürer image b à droite, une inscription en latin que l'on peut traduite ainsi : « Moi, Albrecht Dürer de Nuremberg, j'ai peint ainsi mon portrait à l'âge de 28 ans avec des couleurs impérissables. »

Un des premiers maîtres de l'autoportrait

Jeune artiste originaire de Nuremberg, Dürer est d'abord formé au métier d'orfèvre par son père, avant d'entrer dans l'atelier de Michael Wolgemut (1434-1519). Il réalise un premier autoportrait image 1 à la fin de son voyage de compagnonnage, à l'âge de 22 ans, puis un deuxième image 2 cinq ans plus tard. Dürer est un des premiers artistes à peindre son effigie isolée il a pratiqué cet exercice une douzaine de fois, parfois sous forme de dessins image 3, parfois au sein de tableaux d'histoire.

Apparu en Italie et en Europe du Nord à la fin du XVe siècle, l'autoportrait est alors un genre nouveau. Un siècle plus tôt, la naissance de l'humanisme a favorisé l'émergence du portrait, mais les artistes ne se représentent pas encore. Lorsqu'ils commencent à le faire, c'est de manière discrète, en s'immisçant à l'intérieur d'une scène narrative, souvent au milieu d'une assemblée image 4.

La réalisation d'un autoportrait nécessite en effet de scruter son reflet dans un miroir, une pratique associée au péché d'orgueil dans la tradition chrétienne. C'est d'ailleurs sous les traits d'une femme tenant un miroir qu'il est figuré dans une gravure image 5 faisant partie d'une série consacrée aux sept péchés capitaux.

L'affirmation du statut d'artiste

Comme dans ses précédents autoportraits, Dürer affiche ici son élégance et sa réussite. Il ne se représente pas au travail, le pinceau à la main, mais vêtu d'un riche manteau en fourrure de martre, aux détails raffinés comme les manches à crevés.

Ce type de manteau est porté à Nuremberg par les juges et les membres du Conseil de la ville. En attendant d'en faire partie – il entrera au Conseil cinq ans plus tard –, Dürer revendique la dignité du statut de l'artiste. Ce faisant, sa démarche est emblématique de la révolution qui s'opère chez les peintres du début du XVIe siècle, désireux d'être reconnus comme les représentants d'une élite intellectuelle.

Les références à la culture antique

La lumière attire l'attention sur la main droite, dont le geste interroge. Considérées à la Renaissance comme révélatrices de la personnalité d'un individu, les mains apparaissent au premier plan des portraits, et leur représentation est souvent porteuse de sens. Dans l'autoportrait de 1493 image 1, la main maintient un chardon qui fait allusion aux fiançailles et à la Passion du Christ. Ici, ramenant le manteau sur la poitrine, elle peut évoquer le geste des orateurs romains. Dans son célèbre manuel de rhétorique, l'auteur Quintilien (Ier siècle apr. J.-C.) recommandait de « se toucher la poitrine du bout des doigts, la main en creux, pour se parler à soi-même, en s'adressant des mots d'encouragement », rappelant l'importance de la modestie.

Autre élément montrant la culture humaniste de Dürer, le texte de la partie droite du tableau est écrit au passé. Une tradition vivace à la Renaissance, inspirée par les écrits de Pline l'Ancien qui rapporte que le célèbre peintre antique Apelle signait ses œuvres à l'imparfait pour affirmer qu'elles étaient toujours en devenir et donc perfectibles. Cette référence savante aurait été transmise au peintre par l'humaniste Christoph von Scheurl (1481-1542), son ami. Celui-ci compare d'ailleurs Dürer à Apelle dans un texte daté de 1508.

L'imitation de Jésus-Christ

La représentation frontale du modèle existe certes chez Hans Holbein image 6, mais elle est inhabituelle dans les portraits de l'époque. Les contemporains de Dürer ont dû être frappés par la référence à la peinture religieuse, notamment aux figurations du Christ de face, en tant que Sauveur du monde (Salvator Mundi) image 7.

Cette assimilation au Christ semble renforcée par l'idéalisation des traits, le front allongé, le nez adouci, les cheveux foncés par rapport au blond roux des autres représentations, dans le but de créer une beauté idéale, signe de perfection.

L'identification au Christ prend tout son sens à cette époque, l'an 1500, où l'on redoute la fin des temps et le Jugement dernier. Une conception pessimiste de l'être humain présente celui-ci comme foncièrement corrompu. L'ouvrage le plus lu à l'époque, L'Imitation de Jésus-Christ, invitait chaque chrétien à suivre le modèle du Christ en renonçant aux tentations du monde.

Malgré ces éléments, la signification précise de cet autoportrait reste floue. Dürer veut-il signifier que Dieu lui a fait don de ses talents d'artiste ? Ou bien suggère-t-il qu'il possède lui-même, comme Dieu, le pouvoir de créer ?

Stéphanie Cabanne

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/autoportrait-en-manteau-de-fourrure

Publié le 17/06/2021

Ressources

Une étude approfondie de l’autoportrait dans l’œuvre de Dürer

https://lesyeuxdargus.wordpress.com/2014/10/06/autoportrait-a-la-fourrure-dalbrecht-durer/

Glossaire

Monogramme : Ensemble de lettres entrelacées pour ne former qu’un seul motif identifiant une personne ou une institution.

Humanisme : Mouvement de la pensée qui se développe au cours de la Renaissance et qui met au cœur de ses valeurs la personne humaine, sa dignité et son épanouissement, accompagné d’un retour aux sources gréco-latines

Renaissance : Mouvement artistique né au XVe siècle en Italie et qui se diffuse dans le reste de l’Europe au XVIe siècle. Il repose sur la redécouverte, l’étude et la réinterprétation des textes, monuments et objets antiques. À la différence de la pensée médiévale qui donne à Dieu une place centrale, c'est l'homme qui est au cœur de la pensée de la Renaissance.   

Crevé (manche de vêtement) : Ouverture ou fente réalisée dans un vêtement pour laisser apparaître la chemise ou une doublure de couleur. Cette mode, typiquement allemande, est d’abord masculine.

Jugement dernier : Dans la religion chrétienne, jugement prononcé par Dieu à la fin du monde sur les vivants et sur les morts ressuscités.