Portrait d'un jeune homme Bronzino

Portrait d'un jeune homme

Auteur

Dimensions

H. : 95,6 cm ; L. : 74,9 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur bois

Datation

Vers 1530

Lieu de conservation

États-Unis, New-York, Metropolitan Museum of Art (MET)

Une pose hautaine dans un cadre étrange : que se cache-t-il sous ce masque d’une froideur inquiétante ?

Qui est ce jeune homme qui se tient fermement face à nousimage principale? La pose quelque peu arrogante, main gauche sur la hanche et main droite appuyée sur un livre détail b, suggère un personnage familier du monde des lettres. Le riche vêtement noir à la mode espagnole et le décor de palais florentin sur lequel se détache la figure indiquent que l'homme appartient à un milieu privilégié : celui que fréquente Bronzino, peintre officiel de la Cour de Côme de Médicis, grand-duc de Toscane, et de sa femme Éléonore de Tolède. Une société de Cour très raffinée dont Balthasar Castiglione donne le modèle dans son célèbre ouvrage Le Livre du courtisan, publié peu de temps avant la réalisation de ce tableau.

L'identité du jeune homme ne nous est pas connue : peut-être un ami du peintre, lui-même poète à ses heures ? Il pose vêtu d'un pourpoint en satin noir, à l'image de l'homme de goût de Castiglione : « La couleur noire a meilleure grâce dans les vêtements que toute autre » (II, XXVII).

En un contraste soigneusement étudié, la doublure luisante des crevés, le col en dentelle blanc et le fin liséré des poignets de la chemise, les agrafes dorées de la culotte et du béret témoignent d'une élégance toute en retenue.

Le portrait comme conscience de soi

Bronzino peint un tableau d'une extrême froideur : les couleurs sombres, l'architecture très austère de l'arrière-plan maintiennent à distance le spectateur. Des portes, linteaux, murs à pans coupés forment autour du jeune homme un réseau de verticales et d'horizontales tout en arêtes, rappelées par la tranche du livre et les pans du mobilier. Le jeu d'ombres et de lumières très tendu accuse plus encore cet aspect de dureté voulu par le peintre. La posture dominante du modèle, accentuée par le point de vue en légère contre-plongée et le cadrage resserré à mi-cuisse, tout comme son air hautain, traduisent l'ambition du personnage.

Artifice des masques

Dans la pièce, une table et un siège représentés en partie, coupés au bord du cadre, tranchent par leur étrangeté. Le spectateur s'interroge : que sont ces têtes monstrueuses, sculptées dans le bois du mobilier détail c1, détail c2, détail c3 ? La vivacité et les grimaces du visage aux plis froissés et du mascaron simiesque s'opposent au masque inexpressif du jeune homme.
Quant à cette troisième figure, que l'œil attentif finit par découvrir entre deux des attaches dorées de la culotte, dissimulée dans les replis du pourpoint, que peut-elle bien signifier ? N'est-ce pas une invitation à réfléchir ? Qui dit la vérité ? Ces figures grotesques ou ce visage impassible ?

Agnolo Bronzino, un peintre maniériste

Agnolo Bronzino est élève et collaborateur de Jacopo Pontormo, adepte comme ce dernier de la maniera moderna. Ce « style moderne », défini par Giorgio Vasari dans ses Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes de Cimabue à nos jours, qualifie l'art de son temps.
C'est une époque de remises en question, religieuse (schisme protestant, guerres de religion, sac de Rome), politique (conflits territoriaux, chute de la République, instauration du duché de Florence) et psychologique (perte de repères et de confiance en l'avenir pour toute une génération).
Face à ces crises, l'art – à la fois pratique, théorique et historique – se présente comme un refuge et un instrument de liberté.
Si la Renaissance florentine avait connu au début du XVIe siècle un moment classique où l'imitation de la nature prévalait, les artistes maniéristes multiplient, quant à eux, les artifices et les effets de style.

Le maniérisme comme « art de l'art » : filiations, citations et licences

Pour rendre hommage aux maîtres, modèles alors considérés comme indépassables (le « divin Raphaël », Léonard de Vinci et surtout Michel-Ange, le contemporain vénéré), les artistes maniéristes introduisent des motifs visuels qui rappellent leurs inventions.
Ainsi, dans Portrait d'un jeune homme, Bronzino reprend les doigts longs et effilés, à l'index écarté détail b, que l'on trouve dans le Moïse de Michel-Ange, ou encore la pose de la main sur la hanche, citation directe du Portrait d'un hallebardier (Francesco Guardi ?) de Pontormo
Les mains longues, très dessinées, plus étranges que belles des portraits de Bronzino attisent d'équivoques désirs : ici, comment regarder ce doigt qui marque une page du livre détail b ? Et l'œil divergent ? S'agit-il d'un défaut du modèle, d'un effet recherché par l'artiste ?
L'extravagance, le caprice, la bizarrerie, les paradoxes s'imposent comme la marque singulière de l'artiste, le style comme revendication de l'art moderne : « Tout en exaltant l'artifice, la pratique maniériste développe une conscience approfondie de la dimension subjective de l'œuvre » (D. Arasse, dans D. Arasse et A. Tonnesmann, La Renaissance maniériste, Paris, Gallimard, coll. « L'Univers des formes », 1997).

La suprématie du dessin

Quatre artistes, deux peintres (Bronzino et Vasari) et deux sculpteurs (Cellini et Ammanati), sont à l'origine de la création en 1562 de l'Académie du dessin à Florence. Modèle de l'Académie bolonaise des Incamminati fondée par les Carrache et de l'Académie royale de peinture et de sculpture créée à Paris en 1648, elle impose la suprématie du dessin comme la ligne orthodoxe de l'art des siècles à venir.
Au XIXe siècle, Ingres, dans ses nus désincarnés et troublants comme dans ses portraits, se révèlera le digne successeur de Bronzino. En particulier, Madame Moitessier (The National Gallery, Londres) et Le Sculpteur Lorenzo Bartolini (musée du Louvre, Paris) image 1 reprennent les beautés sophistiquées et les formes parfaitement lisses des effigies de Bronzino.

Sabine Barbé

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/portrait-dun-jeune-homme

Publié le 10/04/2018

Ressources

Écouter l’émission « Histoires de peintures : pour une histoire brève du maniérisme » sur le site de France Culture

https://www.franceculture.fr/peinture/histoires-de-peintures-pour-une-histoire-breve-du-manierisme

Un texte du site Aparences sur le maniérisme

https://www.aparences.net/periodes/le-manierisme/le-style-manieriste/

Glossaire

Académie (institution) : L’Académie royale de peinture et de sculpture est fondée en 1648. En 1816, l'Académie des beaux-arts est créée par la réunion de l’Académie royale de peinture et de sculpture, de l’Académie de musique (fondée en 1669) et de l’Académie d’architecture (fondée en 1671).

Maniérisme : Courant artistique né en Italie au XVIe siècle que l’on considère comme la dernière phase de la Renaissance. Il tire son nom du mot italien maniera utilisé pour désigner le style personnel d’un artiste. Pour les peintres qui se rattachent à ce courant, l’effet de style prime sur l’équilibre et l’harmonie. Ils se distinguent par une élégance du dessin, des compositions complexes privilégiant tensions et déséquilibres, une distance par rapport à l’imitation servile de la nature.

Grotesques : Type de décoration peinte ou sculptée mêlant éléments végétaux et figures fantastiques humaines et/ou animales. Apparus dans l’art romain, ces décors seront repris dans les courants occidentaux inspirés de l’Antique. 

Linteau : Pièce horizontale placée au-dessus d'une ouverture. Il permet de répartir le poids d'une maçonnerie autour du vide créé par une porte ou une fenêtre.

Médicis : Famille florentine de banquiers collectionneurs et protecteurs des arts. Ses membres s’emparent progressivement du pouvoir à Florence au XVe siècle. Deux grands papes de la Renaissance en sont issus : Léon X (1475-1521) et Clément VII (1478-1534). Anoblie au XVIe siècle, la famille Médicis s’allie deux fois à la France en lui donnant deux reines et régentes : Catherine (1519-1589), épouse d’Henri II, et Marie (1575-1642), épouse d’Henri IV.

Renaissance : Mouvement artistique né au XVe siècle en Italie et qui se diffuse dans le reste de l’Europe au XVIe siècle. Il repose sur la redécouverte, l’étude et la réinterprétation des textes, monuments et objets antiques. À la différence de la pensée médiévale qui donne à Dieu une place centrale, c'est l'homme qui est au cœur de la pensée de la Renaissance.   

Crevés : terme d’habillement  qui caractérise les ouvertures pratiquées aux manches des robes de femme ou des habits à l’espagnole, en vogue au XVIe siècle.

Contre-plongée : point de vue de bas en haut.

Mascaron : une figure humaine souvent effrayante dont la fonction à l’origine était d'éloigner de la demeure les mauvais esprits.