Monument funéraire du cœur d’Henri II (1519-1559), roi de France Pilon Germain Florentin Dominique

Monument funéraire du cœur d’Henri II (1519-1559), roi de France

Dimensions

H. : 150 cm ; L. : 75,5 cm ; Pr. : 75,5 cm

Provenance

Paris, église du couvent des Célestins, chapelle d’Orléans

Technique

Sculpture

Matériaux

Marbre blanc

Datation

1561-1566

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Qui sont ces trois gracieuses jeunes femmes se tenant par la main ? Pourquoi ce grand vase doré sur leur tête ? À quelle occasion a été réalisé ce chef-d’œuvre de la Renaissance française ?

En 1559, le roi Henri II [ image 1 ] est mortellement blessé au cours d'un tournoi à Paris. La reine Catherine de Médicis [ image 2 ], veuve inconsolable qui portera ostensiblement le deuil de son époux toute sa vie, commande en 1561 un monument pour le cœur du roi [ image principale ], placé dans l'église du couvent des Célestins à Paris.

Les tombeaux multiples : une tradition de la monarchie française depuis le Moyen Âge

Depuis le XIIIe siècle, il est d'usage de réaliser plusieurs tombeaux (du corps, du cœur et des entrailles) pour les souverains ou les personnages de très haut rang. À l'origine, la pratique de l'embaumement permet, grâce à l'ablation des organes internes, de rapporter les corps de ceux qui sont morts au loin (à la guerre ou en pèlerinage) pour les enterrer chez eux. Conçue sur le modèle du culte des reliques, cette coutume présente l'avantage de multiplier les lieux de sépulture – donc les messes dites pour le salut du défunt – et de créer des liens étroits avec certaines communautés religieuses. Selon la tradition, les souverains sont enterrés dans l'abbatiale de Saint-Denis, la nécropole royale depuis les premiers Capétiens. D'autres églises, choisies pour des raisons politiques, religieuses ou affectives, abritent leurs tombeaux de cœur et d'entrailles. Les tombeaux de cœur sont particulièrement importants et peuvent faire l'objet d'un véritable culte. Ils tendent à disparaître à la fin du XIVe siècle mais connaissent un regain de faveur à la Renaissance et au XVIIe siècle. Catherine de Médicis s'inscrit donc dans cette tradition en faisant élever pour Henri II et elle-même un tombeau à Saint-Denis [ image 3 ], dont Germain Pilon est le principal sculpteur. Le monument du cœur d'Henri II est installé, lui, dans l'église des Célestins, qui était très liée à la famille royale dont elle abritait plusieurs tombeaux.

Une iconographie renouvelée par l'inspiration antique

Au Moyen Âge, un tombeau de cœur se présente sous la forme d'un gisant, une statue représentant le défunt couché, habillé et tenant dans sa main l'image d'un cœur. Celui d'Henri II appartient à la Renaissance par son inspiration antique, comme l'expliquent les inscriptions latines du soubassement [ détail b ] : la reine confie aux Grâces le cœur de son époux, ne pouvant, malgré son désir, le conserver en son sein. Dans l'Antiquité, les trois Grâces étaient des déesses de la beauté et de l'harmonie. Elles étaient représentées comme trois jeunes femmes nues se tenant par les épaules, l'une regardant dans la direction opposée aux autres. Née à Florence, Catherine de Médicis connaissait le groupe antique conservé à la bibliothèque du Dôme de Sienne, dont le musée du Louvre possède un autre exemplaire [ image 4 ]. Des statues d'Hécate ont pu aussi jouer un rôle d'inspiration, car cette déesse antique de la magie était représentée sous la forme de trois jeunes femmes adossées l'une à l'autre [ image 5 ]. Un projet de brûle-parfum dessiné par Raphaël pour François Ier, connu seulement par une gravure, montre aussi trois figures féminines dos à dos et jouant un rôle de support [ image 6 ], comme les trois Grâces du tombeau d'Henri II, qui soutiennent l'urne contenant le cœur du roi. Elles se tiennent délicatement par le bout des doigts et forment une ronde lente et grave. L'absence de référence chrétienne a choqué les religieux des Célestins, qui les ont renommées les Vertus théologales ! Quant au piédestal, il est inspiré d'autels funéraires de l'Antiquité romaine et constitue la seule référence à la mort du monument [ image 7 ], une nouveauté pour l'époque.

Un chef-d'œuvre du style maniériste, fruit de la collaboration de plusieurs artistes

La conception de l'œuvre est sans doute due à la reine ou à Primatice, le peintre italien qui avait dirigé les travaux de Fontainebleau et qu'elle venait de nommer à la tête des Bâtiments du Roi. Suivant l'habitude de la Renaissance, la réalisation est confiée à plusieurs artistes qui doivent transcrire le projet du peintre. Parmi eux, Germain Pilon, qui avait déjà participé à la réalisation du tombeau de François Ier à Saint-Denis, connaît la consécration avec le groupe des trois Grâces et devient le sculpteur attitré de Catherine de Médicis. Il adopte pour ces élégantes figures les proportions élancées qui caractérisent le style maniériste : le corps est mince et svelte, la poitrine haute et menue, la tête petite et le cou allongé, les pieds et les mains sont longs avec des doigts effilés. Les Grâces sont vêtues d'une fine tunique à l'antique dont le drapé est différent pour chacune [ détail c ]. Le sculpteur a joué du contraste entre les parties nues du corps (les bras, les jambes ou la poitrine) et les parties vêtues. L'étoffe est traitée avec des effets très variés et une virtuosité étourdissante, tantôt plaquée sur le corps et froissée, tantôt s'en écartant et formant de longs plis saillants qui accrochent la lumière et créent un rythme dynamique.

Le sculpteur italien Domenico del Barbiere, dit Dominique Florentin, fut chargé du piédestal, en marbre comme les figures [ détail b ]. Il avait travaillé sur le chantier de Fontainebleau sous la direction de Primatice et le soubassement triangulaire porte toutes les caractéristiques du style bellifontain : les inscriptions sont insérées dans des cartouches imitant des cuirs découpés et encadrées de tout un répertoire décoratif inspiré de l'Antiquité (masque, putti, pattes de lion, feuilles d'acanthe et volutes). Un motif de grecque court à la base.

Dominique Florentin donna aussi le modèle de l'urne en bronze doré, qui fut réalisée par Jean Picart, dit Le Roux, et fondue par Benoît Boucher. Détruite à la Révolution, elle fut remplacée par une copie en bois doré.

En effet, le couvent des Célestins n'échappa pas à la tourmente révolutionnaire : l'église fut détruite en 1795, et les nombreux monuments funéraires qu'elle abritait furent transférés au musée du Louvre ou à la basilique de Saint-Denis.

Ressources

Découvrir la basilique de Saint-Denis

http://www.tourisme93.com/basilique/abbaye-saint-denis.html

Sur les tombeaux royaux et princiers de l’église des Célestins, à Paris

http://saintdenis-tombeaux.forumculture.net/t200-les-tombeaux-princiers-du-couvent-des-celestins-a-paris

Visiter la basilique de Saint-Denis

http://saint-denis.monuments-nationaux.fr/

Glossaire

Relique : Reste du corps d’un saint personnage ou d’un objet lui étant associé.

Gisant : Figure en très fort relief représentant un défunt allongé. Le gisant placé sur un soubassement constitue la forme la plus fréquente des tombeaux du Moyen Âge, à partir du XIIIe siècle.

Maniérisme : Courant artistique né en Italie au XVIe siècle que l’on considère comme la dernière phase de la Renaissance. Il tire son nom du mot italien maniera utilisé pour désigner le style personnel d’un artiste. Pour les peintres qui se rattachent à ce courant, l’effet de style prime sur l’équilibre et l’harmonie. Ils se distinguent par une élégance du dessin, des compositions complexes privilégiant tensions et déséquilibres, une distance par rapport à l’imitation servile de la nature.

Putti : (putto au singulier) Mot italien qui désigne des petits garçons souvent nus, ailés ou non, assimilés à des esprits, des génies ou des anges. Inspirés des Amours antiques, ils apparaissent au XVe siècle dans l’art italien. Appelés spiritelli (« petits esprits », spiritello au singulier) à Florence.

École de Fontainebleau : Style élaboré au château de Fontainebleau à partir de 1530 par les artistes italiens (Rosso Fiorentino, le Primatice) travaillant pour le roi François Ier. Ce style de cour raffiné, à la fois érudit et sensuel, est un des courants du maniérisme et se manifeste dans tous les domaines artistiques. Il a influencé les artistes français et a été largement diffusé par la gravure.

Vertus théologales : Dans la religion catholique, les vertus théologales définissent les qualités nécessaires aux hommes pour établir un lien avec Dieu. Elles sont au nombre de trois : la Foi, l’Espérance et la Charité.

Grecque : (appelée aussi méandre) Motif décoratif fait d’une ligne droite qui revient sur elle-même en formant toujours un angle droit.

Médicis : Famille florentine de banquiers collectionneurs et protecteurs des arts. Ses membres s’emparent progressivement du pouvoir à Florence au XVe siècle. Deux grands papes de la Renaissance en sont issus : Léon X (1475-1521) et Clément VII (1478-1534). Anoblie au XVIe siècle, la famille Médicis s’allie deux fois à la France en lui donnant deux reines et régentes : Catherine (1519-1589), épouse d’Henri II, et Marie (1575-1642), épouse d’Henri IV.

Nécropole : Cimetière.