Le Jugement de Salomon Poussin Nicolas

Le Jugement de Salomon

Dimensions

H. : 101 cm ; L. : 160 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

1649

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Pour qui peint Nicolas Poussin ?Comment les émotions exprimées par les personnages contribuent-elles à faire comprendre la scène ? En quoi s’agit-il d’une peinture classique ?

Même s'il déclare « faire profession de choses muettes », Poussin est un raconteur d'histoires qui choisit avec soin ses sujets dans l'histoire ancienne ou dans la Bible. Il se soucie de représenter des histoires édifiantes offrant de la « délectation », un terme qui, à son époque, recouvre un plaisir aussi bien sensuel qu'intellectuel. Sa peinture s'adresse d'abord à une clientèle choisie d'érudits.

Une clientèle d'amateurs éclairés

Nicolas Poussin réalise Le Jugement de Salomon [ image principale ] pour le banquier lyonnais Jean Pointel en 1649, collectionneur passionné qui réunit non moins de vingt et un tableaux et quatre-vingts dessins de l'artiste. S'il vit alors à Rome, le peintre, en pleine maturité, est bien connu en France d'un petit cercle d'amateurs. Il entretient une correspondance assidue avec ses commanditaires français, les informant de l'avancement de son travail. Poussin élabore lentement ses compositions, cherchant à adapter soigneusement la forme au sujet choisi. Très exigeant avec lui-même, il l'est également envers celui qui regarde sa peinture. Un amateur digne de ce nom doit prendre le temps de « lire » l'œuvre pour en saisir la beauté plastique et la dimension morale.

Un sujet biblique

Le Jugement de Salomon s'inspire d'un épisode du Livre des Rois. Deux jeunes mères vivant sous le même toit se disputent devant le roi Salomon : un enfant étant mort étouffé pendant la nuit écoulée, chacune déclare être la mère du seul enfant survivant et accuse l'autre de chercher à s'approprier son fils. Comment dévoiler la vérité ? Le roi Salomon ordonne de couper l'enfant en deux pour le partager entre les deux femmes. L'une accepte l'autre ne peut supporter cette sentence et préfère que l'enfant vivant soit laissé à l'autre mère. Sa réaction éclaire le roi Salomon, qui ordonne que l'enfant lui soit rendu car il a reconnu en elle la mère véritable. « Tout Israël apprit le jugement qu'avait rendu le roi et ils révérèrent le roi car ils virent qu'il y avait en lui une sagesse divine pour rendre la justice. » (Livre des Rois, I, 3, 16-28)

Une mise en scène théâtrale

Poussin travaille ses compositions d'ensemble à partir d'une boîte, sorte de théâtre miniature où il dispose sur un quadrillage des figurines modelées en cire et drapées. Il étudie ainsi les effets de l'ombre et de la lumière et la mise en espace. Dans un dessin préparatoire [ image 1 ], le peintre a représenté des figurants qui s'agitent près du roi et des deux femmes, à la différence de ceux moins nombreux et plus statiques du tableau. Mais il y a déjà trouvé l'idée essentielle de sa composition finale : la place centrale de Salomon, entre deux colonnes massives, au sommet d'un triangle dont les deux femmes constituent la base. Plus épurée, la peinture gagne en solennité grâce à l'ampleur donnée à l'architecture classique, qui souligne encore la rigueur de la composition.

Salomon, la sagesse incarnée

Assis entre deux colonnes, sur un trône d'or dont le piédestal s'orne d'un bas-relief de griffons affrontés, le roi Salomon est immobile [ détail b ]. Seuls ses yeux et ses doigts sont en mouvement. En tant que juge, il pèse le pour et le contre et paraît incarner le symbole même de la justice, à savoir la balance. Poussin rend ainsi compte des étapes de cette histoire. Le doigt désignant l'enfant donne l'ordre de le tuer, alors que le doigt relevé suspend cette horrible sentence.

L'expression des passions

Les deux mères sont peintes de manière à identifier facilement la bonne et la mauvaise. Leur visage et leur corps expriment ce qu'elles sont. On peut remarquer le teint verdâtre, cadavérique, de la mère tenant l'enfant mort ainsi que le rouge et le vert assez ternes de son vêtement. L'autre mère est vêtue de couleurs plus lumineuses, le jaune et le bleu souvent associés chez Poussin, qui traduisent son innocence. Cette palette expressive accompagne la gestuelle : le bras tendu, le doigt vengeur et le regard haineux de l'une [ détail c ] s'opposent aux bras ouverts en signe de désespoir et de supplication de l'autre, vue de dos [ détail d ]. Le geste de la bonne mère s'inspire d'une composition de Raphaël [ image 2 ], peintre de la Renaissance que Poussin prend comme modèle. L'expression des passions, la manière dont la physionomie révèle les émotions humaines (colère, pitié, admiration, peur…), est une préoccupation majeure au XVIIe siècle, et pas seulement chez les artistes : Descartes en fait le propos d'un ouvrage, le Traité des passions, publié en 1650.

Un chœur tragique

Comme dans une tragédie antique, les figurants répartis selon une symétrie parfaite accompagnent l'événement de leurs réactions. Certains sont horrifiés à l'idée du partage de l'enfant, c'est le cas du soldat à l'extrême gauche qui semble faire écho à la femme de l'extrême droite représentée dans une pose similaire. À droite, un homme de profil regarde Salomon avec admiration à gauche, un homme âgé nous regarde avec gravité et semble nous prendre à témoin.

Un modèle classique

Peintres français vivant à Rome dans la première moitié du XVIIe siècle, Valentin de Boulogne et Nicolas Poussin abordent le sujet du jugement de Salomon de manière bien différente. En 1625, Valentin [ image 3 ] suit l'exemple du Caravage et opte pour une composition en mouvement et pour un clair-obscur dramatique. En revanche, Poussin veut immobiliser les figures dans les poses les plus caractéristiques et obtenir des effets maîtrisés grâce à une peinture lisse, sans touches apparentes. Il considère que cette peinture est la meilleure qu'il ait accomplie. Par ses qualités d'ordre, d'équilibre et de clarté, l'œuvre s'inscrit en effet dans l'art classique, si bien représenté avant lui par Raphaël. Poussin devient un modèle de perfection essentiel dans l'enseignement que Charles Le Brun dispense à l'Académie royale de peinture et de sculpture. Au siècle suivant, le peintre néoclassique Jacques Louis David déclarera à propos du Serment des Horaces (1785) [ image 4 ] : « C'est à Corneille que je dois mon sujet, mais c'est à Poussin que je dois mon tableau. »

Christine Kastner-Tardy

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/le-jugement-de-salomon

Publié le 19/09/2013

Ressources

Pour découvrir la riche collection de peintures de Poussin conservées au musée du Louvre

https://collections.louvre.fr/recherche?q=poussin

Glossaire

Classicisme : Au XVIIe siècle, courant de pensée qui fait de l’Antiquité le modèle de toute forme artistique (littérature, musique, architecture et arts plastiques). Il coexiste avec le baroque auquel il oppose une certaine forme de rigueur et de pondération. En France, il trouve sa meilleure expression sous le règne de Louis XIV, au travers des différentes académies.

Néoclassicisme : Mouvement artistique qui se développe du milieu du XVIIIe au milieu du XIXe siècle. Renouant avec le classicisme du XVIIe siècle, il entend revenir aux modèles hérités de l’Antiquité, redécouverts par l’archéologie naissante. Il se caractérise par une représentation idéalisée des formes mises en valeur par le dessin.

Commanditaire : Personne qui commande et finance une œuvre, une entreprise.

Palette : La palette est la petite planche sur laquelle l’artiste dispose et mélange ses couleurs. Le terme désigne aussi l’ensemble des couleurs qu’il choisit pour une œuvre.