Reliure aux scènes de cour Muhammadi

Reliure aux scènes de cour

Reliure des Séances des amants (Madjâles al-’ochhâq)

Auteur

Dimensions

H. 32 cm ; L. 20 cm

Provenance

Iran, Khorassân (?)

Technique

Peinture

Matériaux

Carton, Pigments, Cuir, Or (métal)

Datation

vers 1560/1588

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

En quoi cette reliure, opposant une scène statique à une scène dynamique, montre-t-elle certaines des occupations princières dans l’Iran du XVIe siècle ?

Ces deux petits panneaux peints image aimage b, exposés côte à côte au musée du Louvre, sont les plats d'une reliure réalisée en Perse au XVIe siècle.

Dans le monde islamique ancien, ce type de plats en cuir peint et verni était réservé aux manuscrits de luxe. Ceux présentés ici ont été produits sous la dynastie des Safavides, dont le plus grand souverain fut le shah Abbas Ier (1571-1629).

La rencontre d'un sage et d'un prince

Le premier plat image c montre une réception princière dans un décor champêtre.

Le prince, représenté dans la partie centrale du plat, à droite, est assis à l'orientale (en tailleur) sur un trône surélevé, caractéristique de l'Iran ancien image 1 image 2 image 3 où sa forme polygonale est associée au souverain depuis l'Antiquité grecque. Il est coiffé d'un turban blanc et porte une petite barbe. Au-dessus de sa tête, un étrange tapis évoque un dais image 3. Il est orné en son milieu d'une mandorle, un motif décorant souvent le centre des tapis et des reliures.

Le prince converse avec un homme d'âge mûr, assis sur ses talons, par terre, à gauche du trône. La peinture persane a fréquemment recours à ce type de personnage pour figurer un sage, voire un saint homme.

Devant eux est représenté un cyprès, autour duquel s'enroulent les branches d'un églantier en fleurs. Ce motif, récurrent dans l'art iranien image 2, se retrouve également dans la poésie persane qui compare souvent les héros au port altier à des cyprès, et leurs amantes blotties contre eux à de fragiles églantiers.

À gauche, deux serviteurs, debout, portent un plat et une bouteille. En dessous, un jeune homme assis et tenant une coupe fait face à un personnage dans la même attitude, à droite du trône. Devant lui sont représentées deux bouteilles à long col caractéristiques de cette époque image 2. En dessous encore, assis autour d'un tapis couvert de plats image 1, deux hommes jouent de la flûte et un autre du tambourin. En bas à droite, un homme garde un cheval, probablement celui du prince, suggérant que ce dernier se serait déplacé pour rencontrer le vieux sage retiré dans la nature, comme le relatent de nombreux récits iraniens.

L'arrière-plan est composé de montagnes se détachant sur un ciel nuageux, tandis que le sol est tapissé de petites fleurs rouges.

Cet ensemble correspond à une scène fréquente dans la peinture persane : celle de la conversation entre un prince et un vénérable personnage, agrémentée de musique et de mets choisis.

Une partie de chasse

Le second plat image b présente une scène de chasse aux protagonistes variés.

Le jeune cavalier figuré en haut à droite peut être identifié comme un prince. Il porte un turban s'enroulant autour d'un bâton typique des Safavides image 4, et surmonté d'une aigrette. Un faucon, auxiliaire habituel des chasses aristocratiques, est posé sur son poing.

Au centre, un lion, piégé dans des roseaux, va être poignardé image 4. La chasse de cet animal est, à cette période et depuis l'Antiquité perse, réservée aux souverains.

Dans la partie inférieure image d, un homme est monté sur un cheval dont les jambes ont été teintes au henné, une pratique fréquente dans l'Iran du XVIe siècle pour parer l'animal lors des fêtes. Le cavalier transperce un ours gris de sa lance, tandis qu'un second chasseur poursuit un couple de cervidés.

Dans la partie supérieure, des canards volent au-dessus de montagnes semblables à celles du premier plat.

Dans ces scènes, le cheval, animal très admiré en terre d'islam, est important un hadîth (récit de la tradition musulmane) dit que Dieu prit « une poignée de vent et en fit un cheval » ; élégant, rapide, mais fragile (surtout sous un climat souvent très chaud), Il est la monture des nobles, les seuls à avoir les moyens de l'entretenir.

Style irréaliste et influence chinoise

Mais ces représentations peuvent étonner. D'une part, les personnages sont stylisés et tous de même taille, quel que soit leur emplacement dans l'espace, participant à l'absence générale de perspective. Dans la peinture persane, plus un personnage est situé haut dans la composition, plus il est éloigné. D'autre part, l'éclairage est uniforme dans chaque scène, sans modelé ni ombre portée. Enfin, les couleurs employées sont parfois inattendues, telle la teinte bleue de certains chevaux. Cette esthétique particulière est voulue et résulte de la tradition religieuse musulmane : Dieu étant le seul véritable créateur des hommes et du monde, les artistes ne peuvent prétendre à trop de réalisme, au risque de se voir reprocher une volonté de rivaliser avec le pouvoir divin.

Malgré l'usure de la reliure, qui a fait disparaître des rehauts d'or et d'argent, les coloris sont vifs, notamment les rouges du dais, de certains vêtements, du tapis et des fleurs.

Certains détails, comme les petits nuages « enroulés en escargots » ou les montagnes traitées en chevrons, révèlent une influence chinoise. Celle-ci est très présente en Perse image 1 depuis la conquête du territoire par les Mongols, alors empereurs de Chine, au XIIIe siècle.

L'ensemble donne l'impression d'un monde de contes, dans l'esprit du Livre des rois (Shāhnāmè), écrit par le poète Firdousi vers l'an mille. Ce livre, une des bases de la culture persane, relate l'épopée des grands souverains de la Perse antique.

Une œuvre attribuée à un peintre de cour

Probablement réalisés dans la seconde moitié du XVIe siècle, comme d'autres reliures semblables connues image 5, ces plats pourraient être attribués au peintre Mohammed Soltan. Celui-ci travaillait surtout à Hérat (aujourd'hui dans l'Ouest de l'Afghanistan, mais appartenant autrefois à la région du Khorâssân, dans l'Est de l'Iran), à l'époque où le futur Abbas Ier y passait sa jeunesse. Muhammadi était un peintre important, aux œuvres d'un naturalisme innovant : il aimait figurer, dans de délicats paysages, l'être humain, actif ou méditatif, souvent entouré d'animaux variés : cerfs et biches, renards à queue ondulante, lièvres bondissants… Un texte de son époque précisant qu'il créa également des reliures peintes, inciterait à lui attribuer la réalisation de ces deux plats.

Sylvie Cuni-Gramont

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/reliure-aux-scenes-de-cour

Publié le 30/09/2019

Glossaire

Perspective : Technique qui permet de représenter l’espace et les objets avec de la profondeur et des volumes sur une surface plane pour donner l’illusion de la troisième dimension.

Composition : Manière de disposer des figures, des motifs ou des couleurs dans l’élaboration d’une œuvre.