Les Très Riches Heures du duc de Berry Les Limbourg (frères)

Les Très Riches Heures du duc de Berry

Forteresse de Philippe Auguste, fossé extérieur : soubassement des tours jumelles et pile du pont-levis de l’entrée orientale

Dimensions

H. 29 cm ; L. 21 cm

Provenance

Technique

Enluminure

Matériaux

Manuscrit à peintures, Peinture sur parchemin (vélin)

Datation

1411-1416

Lieu de conservation

France, Chantilly, musée Condé

En quoi cette peinture est-elle un des sommets de l’enluminure gothique ?

Au Moyen Âge, les tableaux de chevalet sont encore rares. La peinture orne surtout les livres et les murs, et s'ouvre à des innovations comme le paysage, le portrait ou la perspective.

Cette enluminure image principale est extraite de l'un des plus beaux manuscrits du Moyen Âge, Les Très Riches Heures du duc de Berry, chef-d'œuvre des frères de Limbourg. L'ouvrage comporte soixante-six peintures en pleine page, qui forment de véritables tableaux sur parchemin, et soixante-cinq petites illustrant le texte image 1. Certaines de ces images montrent des scènes très vivantes représentent de la vie quotidienne des paysans et des seigneurs, sur fond de célèbres édifices comme le château du Louvre.

Une prestigieuse commande princière

Les Très Riches Heures du duc de Berry ont été réalisées par les frères Paul, Jean et Hermann de Limbourg. Nés à Nimègue, aux Pays-Bas, ils sont venus en France à l'initiative de leur oncle Jean Malouel, peintre en titre de Philippe le Hardi, le duc de Bourgogne et frère de Jean de Berry. Ils font partie de ces nombreux peintres néerlandais et italiens qui exercent leur art en France, dans le milieu de la cour, autour de 1400 l'intérêt de ces artistes pour le portrait, pour une observation réaliste de la nature et pour le rendu d'un espace en trois dimensions est caractéristique du style gothique international.

C'est le duc de Berry qui commande aux frères de Limbourg ces enluminures. Fils du roi Jean II le Bon, frère du roi Charles V, de Louis d'Anjou et de Philippe le Hardi, le duc de Berry est l'un des hommes les plus puissants du royaume. Il joue encore un rôle de premier plan sous le règne de son neveu Charles VI, atteint de folie en 1392. Collectionneur insatiable, il voue une véritable passion aux manuscrits enluminés il ne possède pas moins de vingt livres d'heures, plus par amour des beaux livres que par piété ! Pour le distinguer des autres, le manuscrit des Très Riches Heures figure sous ce titre dans l'inventaire réalisé après le décès du duc en 1416. Il s'explique aisément par le luxe de l'ouvrage, écrit sur parchemin et alliant l'éclat et la préciosité des couleurs à un dessin précis et élégant. Il reflète le goût audacieux et novateur du duc de Berry, qui contribue à conduire l'art de l'enluminure vers la perfection. Comme ses frères, il est un mécène raffiné et fastueux, tant par goût personnel que par souci de prestige.

Qu'est-ce qu'un livre d'heures ?

Un livre d'heures est un ouvrage qui indique les prières à réciter suivant les heures de la journée et les fêtes à célébrer chaque jour. Calqué sur les heures monastiques, il est destiné aux laïcs. Les livres d'heures se répandent à la fin de l'époque gothique, de 1350 à 1480. Le plus souvent de petit format, ils peuvent être beaucoup plus grands et somptueusement enluminés quand ils sont commandés par un très haut personnage comme le duc de Berry image 2.

Un livre d'heures commence toujours par un calendrier. L'année est rythmée par le cycle des saisons, les douze mois et les douze signes du zodiaque, ici précisés dans la partie supérieure de l'image image principale. Chaque mois est illustré par une activité humaine : travaux des champs pour les paysans, semailles ou fenaison image principale image 4 divertissements comme la chasse ou la promenade pour la noblesse image 5. Viennent ensuite les prières, en latin, illustrées par des peintures religieuses image 3.

L'apparition d'un paysage réaliste

Dans Les Très Riches Heures du duc de Berry, les travaux des champs sont représentés avec beaucoup de précision. Les personnages sont situés dans un espace réel rendu en perspective, une nouveauté.

Dans le mois d'octobre image b, deux paysans travaillent dans un champ à Paris, sur la rive gauche de la Seine, face au château du Louvre. La scène se déroule sous les fenêtres du duc, qui habitait l'hôtel de Nesles, à l'emplacement de l'actuel Institut de France. L'un des paysans est monté sur un cheval qui tire une herse alourdie d'une pierre pour aplanir et égaliser le sol, tandis que l'autre sème à la volée. Ils se tournent le dos, une façon de suggérer ainsi leurs allées et venues dans le champ aux sillons réguliers. La couleur de leurs vêtements, rouge pour l'un, bleu pour l'autre, contraste avec celle du champ. Au premier plan, un gros sac de grains est posé au sol, et des corneilles et des pies picorent. À l'arrière-plan, un épouvantail armé d'un arc est installé dans un autre champ, déjà semé et protégé des oiseaux par un réseau de fils sur lesquels sont attachés des morceaux d'étoffes.

On retrouve le même sens du détail dans la scène de fenaison du mois de juin, qui se déroule face à l'île de la Cité image 4. Au premier plan, deux femmes, dont les robes élégantes contrastent avec leurs pieds nus, manient la fourche et le râteau. Au second plan, les silhouettes penchées et parallèles des faucheurs montrent qu'ils avancent au même rythme. Dans la partie du champ déjà fauchée, plus claire, les meules de foin bien alignées et des arbres épousent la courbe de la Seine et donnent de la profondeur à l'image, même si les proportions ne sont pas vraiment exactes.

Le mois de mai est quant à lui illustré par un divertissement de la noblesse image 5. Un magnifique cortège de seigneurs et de dames à cheval se rend dans la forêt, au son des trompettes, pour fêter le printemps. Ils sont tous somptueusement habillés de vêtements aux couleurs éclatantes. Trois gracieuses jeunes femmes portent une robe dont le vert tendre évoque le renouveau de la nature.

Des représentations très fidèles de monuments célèbres

Le calendrier est aussi un prétexte pour représenter des édifices célèbres et quelques-unes des résidences du duc de Berry et des rois de France.

Ainsi, dans le mois d'octobre image c, le château du Louvre se dresse fièrement derrière le rempart de la ville, qui surmonte le quai où l'on distingue les petites silhouettes de promeneurs. Quelques barques de pêcheurs sont amarrées. Charles V, le frère aîné du duc de Berry, avait quitté en 1364 le palais de la Cité pour s'installer au château du Louvre, transformant l'ancienne forteresse de Philippe Auguste en résidence royale. Cette image est la plus célèbre du Louvre médiéval, agrandi et embelli par le roi. Les fouilles archéologiques menées en 1984-1985 ont confirmé l'exactitude de cette représentation du château image 6.

C'est justement le palais de la Cité qui ferme la composition du mois de juin image 4. Siège du Parlement de Paris, palais de justice et prison depuis le règne de Charles V, sa silhouette massive flanquée de tours contraste avec la légèreté de la Sainte Chapelle, à droite, construite par saint Louis au XIIIe siècle.

Dans l'illustration du mois de mai image 5, il est difficile d'identifier les édifices qui se situent derrière la forêt. Pour certains chercheurs, il s'agit du château et de la ville de Riom, capitale du duché d'Auvergne que le duc de Berry avait reçu de son père, Jean le Bon. D'autres y voient le Châtelet et le palais de la Cité, à Paris.

Resté inachevé à la mort des frères de Limbourg et du duc de Berry en 1416, le manuscrit est terminé à la fin du XVe siècle. Acheté par le duc d'Aumale en 1846, il constitue aujourd'hui l'un des fleurons de la collection du musée Condé au château de Chantilly.

Françoise Besson

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/les-tres-riches-heures-du-duc-de-berry

Publié le 14/04/2020

Ressources

Art et nature au Moyen Âge, un dossier thématique du musée de Cluny – musée national du Moyen Âge

http://www.musee-moyenage.fr/collection/dossiers-thematiques/art-et-nature-au-moyen-age.html

Histoire du livre, un dossier de la Bibliothèque nationale de France

http://classes.bnf.fr/livre/arret/histoire-du-livre/livre_medieval/index.htm

Les Manuscrits enluminés, une fiche pédagogique de l’Institut de recherche et d’histoire des textes (CNRS)

http://www.enluminures.culture.fr/documentation/enlumine/fr/manuscrit-p/manuscrit.htm

Les manuscrits les plus célèbres de la bibliothèque et des archives du musée Condé de Chantilly

http://www.domainedechantilly.com/fr/accueil/chateau/cabinet-des-livres/les-incontournables/

Glossaire

Enluminure : Peinture de petites dimensions ornant les pages d'un manuscrit.

Charles V le Sage : (1338-1380) fils de Jean II le Bon et de Bonne de Luxembourg. En pleine guerre de Cent Ans, sa politique habile lui valut le surnom de « Sage ». Ce roi, de la dynastie des Valois, protecteur des arts, redonne une grande partie de son prestige à la couronne.

Commanditaire : Personne qui commande et finance une œuvre, une entreprise.

Perspective : Technique qui permet de représenter l’espace et les objets avec de la profondeur et des volumes sur une surface plane pour donner l’illusion de la troisième dimension.

Saint Louis : Roi de France de la dynastie capétienne qui régna sous le nom de Louis IX (1214-1270). Canonisé peu après sa mort pour son implication dans les croisades et pour sa piété, il a laissé l’image d’un souverain juste.

Parchemin : Peau d’animal (chèvre ou mouton) spécialement traitée pour servir de support d’écriture ou d’élément de reliure. Le vélin est un parchemin très fin, rare et précieux, qui provient d’animaux mort-nés (agneau, chevreau ou veau).

Gothique international : Style qui se développe autour de 1400 dans les cours princières européennes et dans tous les domaines artistiques. Il combine des caractéristiques qui peuvent sembler opposées : le raffinement et la préciosité, mais aussi le réalisme et la monumentalité. Il s’intéresse à la nature, au paysage, au portrait et privilégie l’éclat des couleurs et l’élégance des lignes.

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