Autoportrait de Guda

Autoportrait de Guda

Livre des femmes nobles et renommées - Folio 58 recto, détail - Auteur du texte : Boccace

Auteur

Dimensions

H. : 36, 5 cm ; L. : 24 cm

Provenance

Technique

Enluminure

Matériaux

Manuscrit à peintures

Datation

XIIe siècle

Lieu de conservation

Allemagne, Francfort-sur-le-Main, Bibliothèque universitaire

Comment les femmes ont-elles occupé les mêmes fonctions et exercé les mêmes métiers que les hommes au Moyen Âge ?

L’idée que seuls les moines peignaient les enluminures est discutée depuis quelques années. Il est maintenant certain que des religieuses aussi ont été copistes et peintres au Moyen Âge. Cet autoportrait de la religieuse Guda en est un beau témoignage image principale. 

La peinture de manuscrits à l’époque romane

Aux environs de l’an mil, la peinture des manuscrits est très influencée par Byzance, Rome et Venise. Elle se diffuse par les monastères des grands ordres religieux catholiques : bénédictins, chartreux ou cisterciens. Chaque abbaye possède au moins 200 à 300 volumes, souvent illustrés. Ce sont des livres liturgiques comme les évangéliaires, indispensables au déroulement de la messe. On trouve aussi entre autres les bibles entières de grand format, les missels, les livres d’heures. Dans les scriptoria image 1 sont également copiés des compilations (droit canonique, vies de saints), les auteurs latins (Térence, Cicéron) ou contemporains (Gilbert de la Porrée, Pierre Lombard).

Les calligraphes et les peintres d’enluminures glissent parfois leur nom dans une marge, à la fin de l’ouvrage ou dans une vignette image principale, image 2. Ils peuvent aussi peindre leur portrait au moment de remettre l’ouvrage au commanditaire (Première Bible de Charles le Chauve), ou se représenter dans une lettrine. C’est le cas pour Guda image principale.

 

L’autoportrait de Guda

La lettrine que nous étudions est issue d’un homéliaire copié et illustré par Guda. À cette époque, vers 1150, les illustrations en pleine page ont tendance à disparaître au profit des lettrines historiées. La lettre sert de prétexte à un décor de portraits, de personnages, de grotesques, d’animaux fabuleux (les êtres hybrides représentent le diable) ou de petites scènes relatives au texte.

Guda est religieuse dans un monastère de Rhénanie, en Allemagne. Elle y est copiste et enlumineuse. Elle illustre l’homéliaire dit de saint Barthélemy. Elle y peint huit lettrines ornées, les initiales de textes portant sur de grandes fêtes catholiques comme Noël et Pâques. Guda se représente à l’intérieur d’une lettrine D (Dominus) image principale introduisant le chapitre consacré à la Pentecôte. Sans chercher forcément la ressemblance physique dans son autoportrait, elle se peint la main droite levée comme dans un geste de témoignage, en habit de religieuse, avec guimpe et voile. Elle tient la tige d’une fleur portant les mots suivants : Guda, peccatrix mulier, scripsit et pinxit hunc librum (Guda, femme pécheresse, a écrit et enluminé ce livre).Son regard semble se diriger vers le lecteur. Elle signe ainsi l’un des premiers autoportraits féminins de l’histoire de l’art occidental. D’autres religieuses, comme elle, ont pratiqué la peinture.

En 2019, des archéologues allemands l’attestent en trouvant sur les dents d’une moniale, vivant vers 1100, du bleu de lapis-lazuli, pigment rare et coûteux, montrant qu’elle devait mâchonner son pinceau en travaillant.

Abbaye de femmes, lieu de savoir

Le monastère est un lieu où se développent spiritualité et capacités intellectuelles grâce aux bibliothèques, à la connaissance des textes antiques, à la théologie. C’est aussi le creuset du développement artistique. Pour la femme, jugée traditionnellement inférieure à l’homme, le cloître est une perspective enviable pour échapper à la servitude ou à la maltraitance. Les fillettes de l’aristocratie y entrent à 7 ou 8 ans pour étudier, les célibataires modestes y sont protégées. Les communautés féminines (bénédictines, cisterciennes, dominicaines, franciscaines) se multiplient. Elles sont fréquemment associées à une abbaye d’hommes, et sous l’autorité d’un abbé, sauf à Fontevraud, gouvernée par une abbesse qui dirige 80 prieurés.

Les monastères sont des lieux de conservation et de diffusion du savoir. Les abbesses sont souvent nobles, éduquées et instruites ; elles assurent la formation des novices. De nombreux monastères féminins possèdent un scriptorium. L’abbesse de Chelles, sœur de Charlemagne, fait travailler une dizaine de religieuses à un manuscrit de commentaire des psaumes d’Augustin. Toutefois, vers 1100, seulement 1 % des œuvres manuscrites sont signées d’un nom de femme. De plus, pour des raisons d’humilité chrétienne, les signatures de moines et de moniales sont rarissimes. Par ailleurs, le Moyen Âge considère comme artisanat ce que nous qualifions aujourd’hui d’art.

Fonctions et métiers de femme au Moyen Âge

Selon les thèses aristotéliciennes, les femmes sont des mâles imparfaits. Rendues responsables du péché originel, elles sont confinées à la maison, entre les enfants, le jardin et la basse-cour. Souvent contraintes à la tutelle, elles sont privées de nombreux droits. Le droit coutumier oral du Nord leur laisse davantage de liberté que le droit écrit, très contraignant, au sud de la Loire. En dehors des religieuses, il existe des femmes laïques qui occupent des activités artistiques et intellectuelles image 3. Dans les villes, les libraires travaillent avec leurs épouses ou leurs filles. Ces dernières se partagent entre les ateliers urbains et les scriptoria. Elles sont copistes, calligraphes, décoratrices, peintres image 4 ou relieuses. À Paris, maître Honoré, le plus célèbre enlumineur de son époque, actif de 1288 à 1300, peint pour le roi Philippe le Bel. Sa fille est artiste peintre elle-même et travaille dans le même atelier, il est donc difficile de lui attribuer précisément une œuvre. Le domaine des femmes se limite toutefois souvent à la domesticité, et, dès 14 ans, à l’alimentation et au petit commerce. Elles sont boulangères, fruitières, mercières, revenderesses des quatre saisons. En ville, elles sont fileuses, couturières, brodeuses image 5, soyeuses, fripières, en maîtrisant des techniques très spécifiques, mais souvent dans un cadre familial non réglementé. Elles sont aussi chaudronnières, dinandières, coutelières, barbières, transporteuses de mortier. Les femmes construisent des remparts et des églises, réalisent des toitures et des vitraux. N’étant pas acceptées à l’université, elles ne peuvent pratiquer officiellement la médecine, mais la gynécologie leur est exclusivement réservée. Elles sont incluses dans la hiérarchie de la corporation et des confréries, dont certaines sont exclusivement féminines (Rouen, Paris, Cologne). Les veuves sont souvent intégrées aux corporations parce qu’elles doivent reprendre l’atelier familial et ses responsabilités. Elles deviennent maîtresses d’atelier, avec compagnons et apprentis (les plus jeunes ont 10 ans). D’autres femmes prêtent serment, parfois en même temps que leur mari. C’est le cas de Pierre et Pétronille Péronne en 1323, libraires. Toutefois, les femmes disparaissent des registres progressivement au XVe siècle. Très vite, on leur refuse l’accès au pouvoir, à l’éducation, au savoir, prétextant leurs défauts et leur infériorité.

Peu à peu, les mots d’autrice, de chevaleresse ou vainqueresse disparaissent pour n’être plus que masculins. Plus de peintresse, d’orfèvresse ou d’enlumineresse… Ces mots existent au Moyen Âge et vont rapidement disparaître à l’époque de la Renaissance. En effet, on revient alors au droit romain qui ne considère pas juridiquement la femme. Ils reviennent en force aujourd’hui.

À l’origine du portrait, une vidéo du Mooc Peintres femmes à travers les âges, RMN-Grand Palais et la Fondation Orange

Marie-Bélisandre Vaulet-Lagnier

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/autoportrait-de-guda

Publié le 05/01/2024

Ressources

Guda et Claricia : deux « autoportraits » féminins du XIIe siècle, un article de Christiane Klapisch-Zuber

https://journals.openedition.org/clio/1602

Archéologie : les riches heures de la femme aux dents bleues, un article de TV5 Monde

https://information.tv5monde.com/terriennes/archeologie-les-riches-heures-de-la-femme-aux-dents-bleues-31182

Glossaire

Règle de saint Benoît : Règle monastique mise en forme par saint Benoît au VIe siècle, qui constitue une véritable réforme de la vie spirituelle et matérielle des moines. Elle se diffusa dans la chrétienté tout au long du Moyen Âge et fut adoptée par de nombreuses communautés bénédictines ou cisterciennes.

Ordre cistercien : Le mot « cistercien » vient du nom de l’ordre et de l’abbaye de Cîteaux, fondés par Robert de Molesme à la fin du XIe siècle. L’ordre est réformé au XIIe siècle par Bernard de Clairvaux, qui en devient le maître spirituel. Il désirait revenir aux principes de simplicité et de pauvreté dictés par la règle de saint Benoît, en opposition aux riches monastères bénédictins, comme Cluny, qui s’en étaient éloignés.

Ordres mendiants : Ordres monastiques chrétiens dont l’apparition en Europe au XIIIe siècle est motivée par la volonté de revenir à un modèle de vie simple dans l’esprit des Évangiles. Ces moines refusent les biens matériels et ont recours à la charité pour subvenir à leurs besoins. Les principaux ordres mendiants sont celui des franciscains et celui des dominicains.

Lettrine : Grande initiale, souvent décorée, placée au début d’un texte ; d’une couleur souvent différente de celle de celui-ci, elle le met en valeur.

Homéliaire : Recueil d’homélies (sermons et extraits des Évangiles).

Scriptorium : Pièce dans laquelle dans un monastère, un manuscrit est créé. Les moines y exécutent des tâches diverses à la fabrication d'un manuscrit, de la préparation du parchemin à son ornementation en pensant par son écriture.

Livre d’heures : Livre de prières liées aux différentes heures de la journée. Généralement richement enluminé, il était réservé aux personnes fortunées.