Le Boeuf écorché Rembrandt

Le Boeuf écorché

Auteur

Dimensions

H. : 94 cm ; L. : 69 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur bois, hêtre (bois)

Datation

1655

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Pourquoi peindre une pièce de boucherie ?

Rembrandt, peintre glorieux, décide de choisir ses sujets. Il cesse de plaire, jusqu’à la faillite. C’est l’époque du Bœuf écorché image principale auquel il s’identifie.

Une tradition nordique

Le thème de l’animal écorché est fréquent dans la peinture du Nord. Plus qu’une nature morte, on le lit comme une peinture de genre. L’une et l’autre à implication moralisante. Dès le XVIe siècle, il est traité par Pieter Aertsen image 1 Joachim Beuckelaer image 2, Van Cleve ou Pieter Brueghel. Ce sujet se retrouve dans les scènes de boutique sous les pinceaux de Joachim Beuckelaer image 3 et Frans Snyders image 4 ou dans des représentations de cuisine image 5.

Avant Rembrandt, le bœuf est traité de façon réaliste, disséqué par des peintres qui en dressent une description anatomique. Le peintre hollandais renouvelle le sujet par le traitement en taches de couleur qui mettent en valeur les entrailles détail b et par des coups de pinceau visibles et une pâte épaisse.

« Souviens-toi que tu es mortel ! »

Ce sujet de Rembrandt est lié à la peinture de vanité. Il est toutefois très éloigné des traditionnelles natures mortes, qui flattent nos yeux et nos papilles. La carcasse d’animal renvoie à la destruction des chairs et à la mort. Elle illustre les nombreux textes des almanachs populaires : « Toi qui selon ton bon plaisir / Fais abattre veau, vache et cochon, / Pense qu’à la fin du monde / Tu paraîtras devant Dieu pour être jugé. ». Le bœuf écorché devient un memento mori (« souviens-toi que tu es mortel »). Le peintre l’a suspendu pour en faire une scène de supplice.

Un génie dans la tourmente

Rembrandt Van Rijn (du Rhin) reçoit la meilleure éducation (école latine, collège classique, université). À 14 ans, il choisit de devenir peintre. Il est apprenti à Amsterdam chez Pieter Lastman, peintre hollandais revenu d’Italie. Il ouvre son atelier à Leyde image 8 . Il préfère la peinture d’histoire ou le portrait à la scène de genre. Il aime les harmonies brutes, le clair-obscur. Il est célèbre pour sa sensibilité à traduire la psychologie de ses modèles, et pour la virtuosité qu’il manifeste dans le petit format. Excellent portraitiste, il forme de nombreux élèves, s’enrichit grâce à sa clientèle aisée et acquiert des œuvres d’art. Dans les années 1650, il peint de grands formats, saturés d’ors et de rouges épais. Sa vie privée est tumultueuse. Il connaît des revers avec la justice en raison de ses dettes, et avec l’Église, car il a plusieurs maîtresses.

Sa réputation d’artiste est intacte et ses tableaux se vendent très cher, mais sa collection est mise aux enchères en 1657 pour payer une partie de ses dettes. Le Bœuf écorché image principale porte l’empreinte de ses peines.

Le choix de Rembrandt

Le peintre installe la carcasse dans un aplomb monumental montrant sa force massive, architecturale. Le cadrage, très serré, accentue l’aspect lugubre du tableau. Le clair-obscur renforce la dimension dramatique. La lumière est réfléchie sur le bœuf, mais elle semble en émaner. À l’inverse des autres peintres, il supprime toute anecdote. Du fond du tableau, une femme dans la pénombre nous regarde détail c. Elle semble interroger le spectateur et l’incite à réfléchir à la portée symbolique d’un tel sujet. Au-delà de la scène quotidienne, le peintre projette une image de lui. Le personnage serait Hendrickje Stoffels, la gouvernante devenue amante. Ils auront une fille, Cornelia. Cette vie conjugale scandalise l’Amsterdam protestante. Le Bœuf serait alors un autoportrait de Rembrandt, endetté, maltraité par la justice, écrasé d’impôts. L’artiste le gardera jusqu’à l’ultime vente de son atelier.

Deux siècles plus tard, Gustave Courbet s’incarnera aussi dans ses natures mortes image 6 en représentant des truites mortes ou blessées, un hameçon dans la bouche.

Un petit tableau devenu source et modèle

Le Bœuf écorché image principale a entraîné de nombreuses appréciations, de multiples interprétations. Il est devenu un tableau édifiant et un jalon majeur de la peinture. Le XIXe siècle le classe comme réaliste, puis comme romantique. Théodore Géricault, Eugène Delacroix et Honoré Daumier copient l’œuvre ou s’en inspirent. Le bœuf est à nouveau réinterprété au XXe siècle, par Marc Chagall et par Chaïm Soutine image 7 avec un expressionnisme pathétique. Plus tard, Francis Bacon travaille ce thème avec une palette violente. Le bœuf écorché évoque la proximité de la mort. Mort de l’animal, mort de l’humain, mort du peintre et de son génie.

Mots-clés

Marie-Bélisandre Vaulet-Lagnier

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/le-boeuf-ecorche

Publié le 23/02/2024

Ressources

La notice de l’œuvre sur le site du Musée du Louvre

https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010065605

Des oeuvres de Rembrandt décryptées par L'Histoire par l'image

https://histoire-image.org/artistes/rembrandt-harmensz-van-rijn

Le boeuf écorché (Rembrandt – Soutine – Bacon), un article de Gaëlle Périot, 2004

https://www.persee.fr/doc/fdart_1265-0692_2004_num_8_1_1347

Glossaire

Clair-obscur : Répartition des ombres et des lumières sur une peinture, de telle sorte que les couleurs les plus sombres se juxtaposent aux plus claires et produisent un fort effet de contraste.

Vanité : Type d’œuvre favorisant la méditation sur la mort et le caractère éphémère des plaisirs sensuels. Parmi les objets symboliques le plus fréquemment représentés figurent le crâne, le sablier, la flamme … 

Nature morte : Représentation d’objets, de végétaux, de nourriture ou d’animaux sans vie.