Le Retable d’Issenheim Grünewald Matthias

Retable d'Issenheim

Dimensions

Provenance

Issenheim, maître-autel de l’église des Antonins.

Technique

Détrempe (tempera)

Matériaux

Huile sur bois

Datation

1512-1516

Lieu de conservation

France, Colmar, musée Unterlinden

En quoi ce retable de la Renaissance est-il une œuvre exceptionnelle ?

Ce retable a été réalisé pour la commanderie des Antonins d’Issenheim, en Alsace, une confrérie au service des malades. Cette fraternité laïque mixte soigne les ergotants et dirige une centaine d’hôpitaux, dont celui d’Issenheim, vers 1300. Sur la route vers Rome et Saint-Jacques-de-Compostelle, le couvent accueille des pèlerins malades qui viennent prier devant le retable pour être guéris par saint Antoine.

Comme un livre d’images

Ce retable est un polyptyque complexe comprenant plusieurs volets. Sa thématique s’adresse au recueillement des pèlerins, lors de leur passage au monastère.

Le retable fermé image principale.  offre une vision terrifiante de la Crucifixion détail b et détail c. De part et d’autre du Christ, deux saints guérisseurs : Antoine, contre l’ergotisme, et Sébastien, contre la peste détail a bis. Le retable reste fermé la plupart du temps.
La première ouverture détail d montre l’Annonciation, le Concert des Anges, la Nativité et la Résurrection détail d bis, quatre thèmes évoquant le salut, la joie et l’espérance. Cette vision est réservée aux grandes fêtes (Noël, Pâques, Pentecôte). La scène de l’Annonciation est située dans une église, alors que, le plus souvent, la scène se déroule dans la maison de la Vierge. L’artiste a voulu sacraliser cet événement. L’archange Gabriel annonce à Marie qu’elle a été choisie par Dieu pour donner naissance à Jésus.
Le volet de droite représentant la Résurrection du Christ, en élévation, inclut l’idée de l’Ascension. Dans la partie basse du panneau, on trouve les soldats endormis, le tombeau ouvert et le linceul duquel se dégage le Christ. Son corps a retrouvé la plénitude, et il présente ses mains et ses pieds portant les stigmates.
L’ouverture complète détail e du retable dévoile trois sculptures de saints détail e bis : Antoine au centre, Augustin à sa droite et Jérôme à sa gauche.
À droite du panneau central sculpté et doré, un volet peint représente la vision des voluptés terrestres. Dans un second temps, le diable envoie à saint Antoine des animaux féroces pour le tourmenter pendant sa méditation. Renversé, bouche ouverte, il demande à Dieu la force de résister à Satan. Sur le volet gauche, sont peints saint Antoine et saint Paul ermite. Pendant leur conversation, un corbeau leur apporte du pain. Dans la prédelle, le Christ Sauveur du monde est au milieu de ses apôtres. Cette iconographie du retable répond aux besoins spécifiques des Antonins, qui reçoivent les malades et les pèlerins.

Émouvoir le spectateur

Le peintre Grünewald montre des visions mystiques aux accents fantastiques. Il insiste sur les souffrances poignantes du Christ : corps torturé, clous qui le percent, couronne d’épines, pieds et mains déformés par la douleur détail c.
Cette image dramatique doit émouvoir les malades atteints d’ergotisme (et appelés ergotants). Ils ont consommé du seigle contaminé. Leurs souffrances sont terribles et leur corps se déforme (pieds, jambes, mains,…) Au Moyen Âge, le seigle, facile à cultiver, est largement consommé en Europe. Il peut porter un champignon toxique, l’ergot, qui provoque l’ergotisme. Au XIIIe siècle, le réchauffement climatique permet la culture du blé et la consommation de seigle cesse, sauf en cas de famine. Le mal disparaît peu à peu.
Quand le polyptyque est complètement ouvert, le malade peut observer un ergotant, en bas à gauche du panneau de droite détail f. En regardant la souffrance du Christ et l’image du personnage malade, le pèlerin accepte davantage la sienne.
La dernière ouverture du polyptyque laisse voir les statues des saints détail e, très naturalistes et expressives, comme vivantes. La feuille d’or leur confère une dimension divine, presque miraculeuse. Le malade, le souffrant, le mourant entrevoient alors le paradis.

Une collaboration entre un sculpteur et un peintre

Réalisé au cœur du Saint Empire romain germanique, ce retable présente des éléments gothiques et Renaissance. Issenheim est traversé par des routes apportant des influences bourguignonnes, flamandes image 1 et image 2 et italiennes.
Le sculpteur Nicolas de Haguenau a pu voir les amples draperies des statues de Claus Sluter en Bourgogne. L’aisance des gestes et le naturalisme des trois saints les placent dans le gothique flamand.
Le peintre Grünewald, au talent inédit, rappelle par son style Hans Holbein l’Ancien, dont il a pu fréquenter l’atelier. L’imaginaire fantastique est plus proche du flamand Jérôme Bosch. Son style s’inscrit dans la manière germanique, mais avec une intensité expressionniste qui le rend particulier. La figure du Christ ressuscité, notamment, surprend par la stylisation des formes et les couleurs acidulées, des éléments qui annoncent certains aspects de la peinture moderne du XXe siècle.

Un artiste mystique

Matthias Grünewald est peintre et ingénieur hydraulique. Sa vie est peu connue. Très réputé, il est vite oublié. Il lègue une fortune considérable (fourrures, tissus, matériel de peinture de premier choix), mais ne laisse aucun écrit. On lui attribue une dizaine d’œuvres et 35 dessins dans le goût du gothique tardif rhénan en transition vers la Renaissance.
Son œuvre, exclusivement religieuse, est marquée par un mysticisme qui frôle parfois l’hallucination. Grünewald est célèbre pour ses visions poignantes de la souffrance du Christ, surtout dans ses Crucifixions (Bâle image 3, Washington, Colmar et Karlsruhe teintées d’emphase et de violence crue). D’un tableau à l’autre, on observe sa progression stylistique à travers le corps torturé de Jésus, sa couronne d’épines, les clous qui le percent, tandis que la croix plie de plus en plus sous son poids.

Le retable a pu être commandé par Guy Guers (recteur du monastère) vers 1510 et aurait été achevé en 1516, pour le maître-autel de l’église du monastère. Saisi et démonté à la Révolution (1793), il est alors attribué à Dürer. Il arrive en 1853 dans la chapelle du couvent des Dominicaines d’Unterlinden (musée de Colmar). En 1917, il est restauré à Munich ; l’Alsace est alors allemande. Une restauration complète a été achevée en 2022, suivie d’une campagne photographique menée par le service photographique de la Réunion des musées nationaux – Grand Palais.

Marie-Bélisandre Vaulet

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/le-retable-dissenheim

Publié le 17/01/2024

Ressources

Musée d’Unterlinden. Les sculptures du retable d’Issenheim de retour de restauration.

https://youtu.be/JIoUTF7S16k?feature=shared

Palettes, documentaire vidéo: Le Retable des Ardents, 32 min, 1999.

https://youtu.be/_8_lnDL1xJw?feature=shared

La restauration du Retable d’Issenheim, 1:27:08 mn Une conférence de l’Institut national du patrimoine sur la restauration du Retable d’Issenheim

https://youtu.be/qOguPl4Oq7E?feature=shared

Les coulisses de la campagne photographique en vidéo

https://youtu.be/3sHTn7WmcfI?feature=shared

Le Retable d’Issenheim, musée Unterlinden de Colmar, 4mn. Un extrait de l’émission Des racines et des ailes sur le Retable d’Issenheim

https://youtu.be/pq_NQhXaSdk?feature=shared

Jérôme Ferrari effaré par le réalisme du Retable d’Issenheim, 2:19mn Un commentaire de l’œuvre en vidéo par Jérôme Ferrari, pour France Inter

https://youtu.be/gyufFvwVYFs?feature=shared

Glossaire

Prédelle : Partie inférieure d’un retable, parfois divisée en compartiments, figurant un ou des sujets en relation avec le tableau principal.

Linceul : Pièce de tissu, souvent blanche, utilisée pour ensevelir un corps.

Polyptyque : Ensemble de panneaux, peints et/ou sculptés, présentant des scènes religieuses et destinés à prendre place au-dessus de l’autel. Ces panneaux pouvaient être articulés et peints sur leurs deux faces.