Judith et Holopherne Gentileschi Artemisia

Judith et Holopherne

Dimensions

H. : 162 cm ; L. : 126 cm

Provenance

Technique

Matériaux

Huile sur toile

Datation

Vers 1613

Lieu de conservation

Italie, Naples, musée de Capodimonte

En quoi ce tableau reflète-t-il un drame personnel de l’artiste ?

Artemisia Gentileschi naît à Rome. Elle est la fille aînée du peintre caravagesque Orazio Gentileschi (1563-1639), auprès duquel elle acquiert sa formation artistique. Son immense talent lui permet bientôt de connaître le succès, entre autres auprès des Médicis : Gentileschi mène ainsi une carrière indépendante qui la conduit de Rome à Naples, en passant par Florence. Elle se rend aussi à Londres, où elle reçoit la reconnaissance de la cour d'Angleterre.

Pourtant, des drames jalonnent sa vie. Cette mise en scène dramatique de l'histoire de Judith et Holopherne pourrait faire écho au viol qu'elle subit à l'âge de 17 ans. Il en existe deux versions, l'une conservée au musée national de Capodimonte de Naples image principale, l'autre à la galerie des Offices à Florence, datées du premier tiers du XVIIe siècle.

Judith, héroïne de l'Ancien Testament

L'histoire de Judith et Holopherne est tirée du Livre de Judith, qui fait partie de l'Ancien Testament. Cet épisode, qui célèbre les vertus de courage et de chasteté d'une femme héroïque, peut être interprété comme le triomphe de l'Église sur l'hérésie.

Riche et belle veuve de Béthulie, Judith s'engage à sauver sa ville assiégée par les troupes assyriennes. Elle se rend dans le camp ennemi et séduit celui qui le dirige, le général Holopherne, qu'elle enivre lors d'un festin. Le soldat sombre dans l'ivresse et s'endort. Judith le décapite alors, emporte sa tête et la suspend aux murailles de la ville. Effrayés, les soldats abandonnent le siège et se retirent.

Tout comme celui de Salomé image 1, ce récit extrêmement violent connaît de très nombreuses représentations.

La dramatisation de la mise en scène

S'écartant des conventions qui réservent plutôt aux femmes la réalisation de portraits et de natures mortes, Gentileschi s'attaque ici au grand genre de la peinture d'histoire, qui traite de scènes mythologiques et bibliques.

La composition, verticale, est traitée en clair-obscur. Elle adopte un cadrage resserré et sobre autour des trois personnages : Holopherne, Judith et sa servante.

À droite, Judith, vêtue d'une robe bleue, est montrée en train de décapiter Holopherne elle semble esquisser un mouvement de recul image d, tandis qu'au centre, la servante, vêtue de rouge, l'assiste en appuyant de tout son poids sur le général. Dans un acte désespéré, ce dernier tente de la repousser.

Au premier plan, la décapitation avec la tête hurlante image b est montrée de manière très crue. Le détail des filets de sang contrastant avec le linge de lit blanc exacerbe cette violence. L'épée tranchante coupe non seulement la tête, mais aussi l'espace central du tableau. Son pommeau image c constitue d'ailleurs le point vers lequel tout converge, notamment les mains des femmes. Le sang, la tension des corps, les puissants contrastes colorés confèrent à cette scène d'une grande violence toute sa charge dramatique.

En regardant Caravage…

Cette œuvre est à rapprocher du tableau peint par Le Caravage image 2 quelques années plus tôt. Celui-ci montre une scène tout aussi sanglante, dans une atmosphère également en clair-obscur. La composition est cependant horizontale, s'étirant vers le groupe des femmes placé sur le côté droit. La servante, représentée en vieille femme, ne participe en rien à l'exécution : elle se contente de tenir le sac qui accueillera la tête.

D'autres artistes ont souvent privilégié des approches différentes pour traiter de ce thème. Ainsi, Judith est fréquemment représentée triomphante, brandissant la tête d'Holopherne image 3, ou bien au moment de sa fuite, une fois l'acte accompli image 4. Rembrandt choisit quant à lui de montrer Judith richement parée, à la table du banquet image 5.

Gentileschi semble avoir voulu dramatiser davantage l'instant du meurtre, en organisant la composition autour de l'épée et en accentuant l'effort des femmes. Pourquoi une telle insistance ?

Autofiction ?

Cette mise en scène extrêmement brutale lui aurait-elle été inspirée par le viol qu'elle a subi ? Le tableau ferait-il office de catharsis pour la jeune femme ? Des relectures contemporaines semblent accréditer cette thèse.

En 1611, la jeune femme révèle à son père qu'elle a été violée par l'un de ses collaborateurs qui lui enseignait la perspective, le peintre Agostino Tassi (1578-1644). Ce dernier ne voulant pas réparer par le mariage l'outrage causé, le père de Gentileschi porte plainte pour le déshonneur familial subi. Un procès s'ouvre : la culpabilité de Tassi est établie, mais la peine n'est pas exécutée.

La violence extrême de l'acte puis la pénibilité du long procès marquent terriblement l'artiste. Sans doute à titre d'exutoire, elle réalise les deux versions de ce tableau, donnant à Holopherne les traits du violeur. Devenue Judith par procuration, Gentileschi se venge.

Cette fonction de l'œuvre d'art comme exutoire se retrouve chez d'autres artistes femmes, notamment au XXe siècle. Ainsi l'artiste Niki de Saint Phalle, abusée enfant par son père, témoigne-t-elle de la violence subie dans sa série Tirs, à la frontière de l'œuvre d'art et de la performance.

Après le procès, Gentileschi épouse un peintre au talent bien inférieur au sien. Le couple s'installe à Florence, et se sépare rapidement. C'est seule que l'artiste élève leur fille, tout en menant une importante carrière.

Audace et énergie caractérisent souvent son travail elle est notamment la première femme à peindre des nus. Ses œuvres sont parfois difficiles à attribuer avec certitude en raison du nombre de collaborateurs qui travaillent dans son atelier. À partir de 1630, Gentileschi adopte la ville de Naples comme seconde patrie et participe largement à la diffusion du caravagisme. On perd la trace de l'artiste dans ses dernières années.

Artemisia Gentileschi : peintre MeToo au XVIIe siècle, une vidéo de France 24, Culture Prime

Véronique Duprat-Roumier

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/judith-et-holopherne

Publié le 10/05/2021

Ressources

« Artemisia Gentileschi, la première grande peintre de l’Histoire », un article d’Alessandro Pagano sur le site du National Geographic

https://www.nationalgeographic.fr/histoire/2020/03/artemisia-gentileschi-la-premiere-grande-peintre-de-lhistoire

Caravaggio Napoli, une exposition du musée national de Capodimonte sur Google Arts & Culture

https://artsandculture.google.com/exhibit/caravaggio-napoli/BgKiLnT-LWS7Kg

"Être peintre d’histoire et femme du XVIe au XVIIe siècle", une vidéo du MOOC Peintres Femmes, RMN-Grand Palais/Fondation Orange

https://www.youtube.com/watch?v=v0688jfELd4

Artemisia, La Caravagesque, une vidéo d'Anne Steinberg-Viéville

https://www.youtube.com/watch?v=40niFUr0U1U

Glossaire

Caravagisme : Courant artistique initié à Rome au début du XVIIe par Caravage, qui se caractérise principalement par des compositions sobres, clairement structurées, une représentation fidèle de la réalité et des effets de clair-obscur. On qualifie les peintres qui se rattachent à ce mouvement de « caravagesques ».

Ancien et Nouveau Testament : Pour les chrétiens, les deux recueils constituant la Bible. Le Nouveau Testament, qui comporte notamment les quatre Évangiles, rapporte la vie et l’enseignement du Christ et de ses disciples.

Peinture d’histoire : Genre pictural majeur représentant des scènes inspirées de l’histoire, de la religion, de la mythologie ou de la littérature.