Le Débarquement de Cléopâtre à Tarse Le Lorrain, Claude Gellée (dit)

Le Débarquement de Cléopâtre à Tarse

Dimensions

H. : 119 cm ; L : 168 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

1642-1643

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Peinture d’histoire ou paysage ?

À la lumière du soleil couchant, Cléopâtre, souveraine d'Égypte, vient d'accoster sur la rive représentée au premier plan du tableau image principale. Elle s'avance, entourée de sa suite, en direction du triumvir Marc-Antoine, venu l'accueillir image b. Marins et promeneurs, indifférents, vaquent à leurs occupations image c.

La scène se déroule dans un cadre imaginaire constitué, à droite, d'architectures classicisantes et, à gauche, de galions aux voiles cardées. Au loin s'étend la mer.

L'histoire gréco-romaine mise en parallèle avec l'histoire sainte

Le sujet est tiré des Vies parallèles de Plutarque, composées au début du IIe siècle. Dans la biographie du Romain Marc-Antoine, l'auteur grec rapporte comment Cléopâtre, après s'être alliée avec Cassius, son rival, a été convoquée à Tarse, en Asie Mineure, pour se justifier. Désireuse de sauver l'indépendance de l'Égypte, elle débarque en 41 av. J.-C. avec le projet de séduire Marc-Antoine. Parvenue à ses fins, elle l'emmène avec elle en Égypte. Mais, défaits par Octave durant la bataille d'Actium, ils se suicident.

Peint comme pendant à David sacré roi par Samuel image 1, sujet tiré de l'Ancien Testament, le tableau met donc en opposition l'exemple négatif d'une reine ambitieuse courant à sa perte, et l'exemple positif du jeune David, simple berger choisi par Dieu pour devenir roi d'Israël.

Une commande prestigieuse

C'est le cardinal romain Angelo Giori qui commande au peintre Claude Gellée, surnommé Le Lorrain, cette paire de tableaux. L'homme est un grand amateur de peinture, représentatif de la clientèle de l'artiste, des membres cultivés de l'aristocratie romaine.

En hommage à son protecteur, le pape Urbain VIII, Angelo Giori demande à l'artiste de peindre les armes de la famille pontificale, les Barberini, sur l'un des galions image c.

En 1682, le tableau et son pendant entrent dans la collection de Louis XIV et prennent place dans la chambre du Roi, à Trianon.

Le Lorrain, un des grands paysagistes romains

Le Lorrain image 2 naît en 1600 à Chamagne, dans les Vosges. Arrivé à Rome à l'adolescence, il entre comme valet chez le peintre Agostino Tassi, qui le forme rapidement à la peinture.

De son maître, Le Lorrain hérite le goût pour la représentation de sujets d'inspiration antique et d'un type de paysages irréels, peuplés de petites figures élégantes. Aux côtés des nombreux artistes originaires du Nord de l'Europe venus parfaire leur formation à Rome, il arpente sa vie durant la campagne des environs de la ville afin d'y dessiner sur le motif image 3. Ce vivier de dessins, rassemblés en 1636 dans un album intitulé Liber veritatis, constitue le point de départ de ses paysages. Ainsi observe-t-on, dans Le Débarquement de Cléopâtre à Tarse, dans la deuxième architecture à droite, d'éventuelles réminiscences de l'église Santa Maria delle Consolazione, à Todi, ou encore de l'abside de Saint-Pierre de Rome, observées et dessinées sur place.

L'invention d'une nature « idéale »

Capitale de l'Empire romain puis de la chrétienté, plaque tournante du marché de l'art, Rome constitue, pour les amateurs et les artistes, le cadre idéal des récits fondateurs.

Loin d'insérer ses personnages dans la simple campagne romaine, Le Lorrain élabore à partir des années 1630 des paysages imaginaires, savamment construits, censés participer, par leur harmonie et leur équilibre, au sens du tableau image 4. Maître de la perspective linéaire, il y trace de grandes lignes diagonales convergeant vers un point de fuite – ici, le soleil couchant –, bordées d'édifices, menant le regard du premier plan du tableau jusqu'à l'horizon. Les motifs encadrant la scène constituent autant de « coulisses » échelonnées dans l'espace. Nicolas Poussin, un artiste français contemporain du Lorrain, également installé à Rome, mène des recherches comparables image 5.

La lumière, véritable protagoniste du tableau

Le Débarquement de Cléopâtre à Tarse appartient à la série des grands ports peints par Le Lorrain au milieu des années 1640. Durant cette décennie fertile, l'artiste réalise effectivement de nombreuses marines de ce type, un sujet d'origine flamande image 6 qu'il transpose dans son univers onirique.

Chez lui, la lumière joue un rôle fondamental. Sur cette toile, elle projette ses éclats sur les personnages principaux et la surface de l'eau, unifiant les différents plans et créant une atmosphère élégiaque et intemporelle image d. Elle devient ainsi le sujet principal du tableau, reléguant au second plan l'épisode historique.

Cet intérêt pour la lumière frappe le peintre anglais William Turner, grand admirateur du Lorrain dont il a le loisir d'admirer et de copier les œuvres exposées à Londres, mais également à Paris lors de sa visite en 1821 [image 7]. Les tableaux du maître français lui inspirent deux toiles [image 8] [image 9], dont il demande dans son testament qu'elles figurent aux côtés de celles du Lorrain à la National Gallery de Londres.

Stéphanie Elhouti-Cabanne

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/le-debarquement-de-cleopatre-tarse

Publié le 01/07/2019

Ressources

Glossaire

Ancien et Nouveau Testament : Pour les chrétiens, les deux recueils constituant la Bible. Le Nouveau Testament, qui comporte notamment les quatre Évangiles, rapporte la vie et l’enseignement du Christ et de ses disciples.

Peindre sur le motif : Expression qui signifie peindre en ayant sous les yeux ce que l’on souhaite représenter.

Pendant : on dit d'une œuvre qu'elle est un pendant quand elle a été réalisée pour répondre à une autre œuvre dans sa forme et dans son sujet.

Perspective linéaire : Mode de représentation tridimensionnel de l’espace mis au point à Florence au début du XVe siècle, consistant à représenter un objet ou une figure d’un point de vue fixe, celui du spectateur, en projetant les lignes du tableau vers un point (ou plusieurs), dit point de fuite.

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