Devant d’autel de la cathédrale de Bâle

Devant d’autel de la cathédrale de Bâle

Auteur

Dimensions

H. 120 cm ; L. 177,5 cm ; P. 13 cm

Provenance

Suisse, Bâle, cathédrale

Technique

Orfèvrerie, Repoussé (métal)

Matériaux

Or (métal), Perle, Pierre précieuse, Verroterie, Chêne (bois)

Datation

1015-1022

Lieu de conservation

France, Paris, musée de Cluny, musée national du Moyen Âge

Comment les personnages représentés sur ce devant d’autel aident-ils à comprendre le contexte de sa création ?
Pourquoi ces objets sont-ils si rares ?

Dans une église, la liturgie veut que la messe soit célébrée sur un autel où le prêtre perpétue le sacrifice du Christ. En accord avec sa fonction, l'autel fait souvent l'objet d'un décor où la représentation du Christ occupe une place centrale. Une attention particulière est donnée à la face principale qui peut être ornée d'un devant d'autel, désigné aussi de manière plus savante sous le terme d'antependium (des mots latins ante et pendeo, ce qui signifie pendre devant). Ce parement prend des formes variées : tissu luxueux, panneau de bois peint, sculpté, ou même plus exceptionnellement couvert d'un métal précieux orné de pierreries. Ce devant d'autel, dit autel d'or de Bâle [ image principale ], est l'un des rares exemples d'orfèvrerie de ce type ayant échappé à la destruction. En effet, querelles religieuses, changements de goût ou simples besoins de liquidités ont souvent été à l'origine de la disparition de ces objets précieux qui faisaient partie du trésor des églises.

Un objet emblématique de l'art ottonien

Des plaques d'or travaillées au repoussé, en relief très accentué, sont fixées par de petits clous d'or sur un plateau de bois de chêne qui n'est pas celui d'origine. Pour éviter les enfoncements accidentels, l'intérieur des figures était empli de cire, disparue lors du remplacement du support de bois. L'inscription se déploie sur des plaques de cuivre doré tandis que perles, pierres semi-précieuses, verroteries et intailles antiques soulignent les nimbes des personnages [ détail b ].

L'antependium de Bâle a vraisemblablement été réalisé entre 1015 et 1022 par un orfèvre de Fulda, ville située au cœur des contrées germaniques, en territoire ottonien. Se réclamant les héritiers de Charlemagne, les empereurs ottoniens ont particulièrement favorisé sous leur règne les arts précieux [ image 1 ], représentatifs de leur volonté d'apparat. Cet autel d'or s'inscrit dans cette production caractéristique à la jonction entre la Renaissance carolingienne et l'art roman, au carrefour de diverses influences. Ainsi, les rinceaux sont de tradition paléochrétienne, tandis que l'attitude hiératique des personnages, les chapiteaux des colonnes, les plis stylisés des étoffes sont proches de l'art byzantin. En effet, des liens privilégiés ont été tissés par les Ottoniens avec Byzance et officialisés par le mariage d'Otton II avec la princesse byzantine Théophano en 972 [ image 2 ].

Une iconographie très riche expliquée par les inscriptions

Sur un fond de rinceaux peuplés d'oiseaux et d'animaux se détachent cinq arcades, soutenues par des colonnes baguées à chapiteaux végétaux, abritant chacune un personnage qui se tient debout sur un petit monticule.

Dans le feuillage, au-dessus des arcades, quatre médaillons présentent des bustes féminins couronnés et nimbés [ détail c ]. Ces figures, identifiées par des inscriptions abrégées, représentent les quatre vertus cardinales qui, selon le christianisme, doivent motiver les actions humaines : la Prudence (« PR DC ») pour discerner le véritable bien, la Justice (« IS TC ») pour une rétribution équitable, la Tempérance (« TM PR ») pour maîtriser les instincts et la Force (« FR TT ») pour résister aux tentations et surmonter les obstacles.

Sur les arcades, d'autres inscriptions identifient les cinq personnages. De taille supérieure à celle des autres personnages, le Christ, « Rex regum et D[omi]n[u]s dominantiu[m] » (« Roi des rois et Seigneur des seigneurs »), est représenté de face [ détail d ]. Son nimbe, marqué d'une croix, est le plus riche. Il fait un geste de bénédiction de la main droite et élève de la main gauche le globe marqué du chrisme, entouré de l'alpha et de l'oméga.

À gauche [ détail e ] se tient saint Benoît de Nursie, « S[an]c[tu]s Benedictus abb[as] ». Vêtu en moine, il tient la crosse des abbés et un livre, allusion à la Règle qu'il a donnée à l'ordre monastique qu'il a fondé au VIe siècle. Près de lui, l'archange saint Michel, « S[an]c[tu]s Michaël », porte l'étendard du premier combattant de l'armée de Dieu et un globe marqué d'une croix, signe de rédemption. Les deux autres archanges se trouvent à droite [ détail f ] : Gabriel, « S[an]c[tu]s Gabriel », et Raphaël, « S[an]c[tu]s Rafaël ». Tous deux tiennent un long sceptre et lèvent la main gauche en geste d'adoration vers le Christ.

Si l'identification des personnages est aisée, l'inscription latine qui les encadre soulève des problèmes de traduction plus épineux, car plusieurs interprétations en sont possibles. Les spécialistes s'accordent néanmoins sur le fait qu'elle fait probablement allusion à saint Benoît et à sa fonction de médiateur auprès du Christ pour l'obtention d'une guérison.

Une commande impériale

Les donateurs, représentés prosternés aux pieds du Christ [ détail g ], sont traditionnellement identifiés comme l'empereur ottonien Henri II et son épouse Cunégonde, connus pour avoir mené une vie si pieuse qu'ils furent canonisés au XIIe siècle [ image 3 ]. La commande de cet autel est généralement associée à un épisode de l'histoire de Henri II, rapporté par les chroniques médiévales. Lors d'un séjour italien au Mont-Cassin, abbaye mère de l'ordre fondé par saint Benoît, Henri II fut soulagé des douleurs provoquées par un calcul rénal, mal alors connu sous le nom de maladie de la pierre. Il attribua les mérites de cette guérison à l'intercession en sa faveur de saint Benoît auprès du Christ et aurait pu commander l'autel d'or en signe de reconnaissance. Même si, très tôt, dès le XIe siècle, l'œuvre fait partie du trésor de la cathédrale de Bâle, il est peu probable qu'elle lui ait été destinée dès l'origine. En effet, il est plus vraisemblable que Henri II ait pensé l'offrir à un important monastère bénédictin, comme Saint-Michel de Bamberg, fondé en 1015 sous son impulsion. La présence de saint Benoît et de saint Michel à la droite du Christ plaide en faveur de cette hypothèse.

Marque tangible de la reconnaissance de Henri II et témoignage de dévotion personnelle, cet antependium, en associant le Christ à l'empereur, est un manifeste de l'alliance entre le pouvoir impérial et l'Église.

Sandrine Bernardeau

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/devant-dautel-de-la-cathedrale-de-bale

Publié le 18/03/2015

Ressources

La fiche de l’œuvre sur le site du musée de Cluny

http://www.musee-moyenage.fr/collection/oeuvre/devant-autel-cathedrale-bale.html

Le trésor de la cathédrale de Bâle, aujourd’hui au musée historique de la ville

https://www.hmb.ch/fr/

Lire le dossier « Orient/Occident », réalisé par le musée de Cluny et destiné aux enseignants

http://www.musee-moyenage.fr/media/documents-pdf/dossiers-enseignents/dossier-enseignants-musee-de-cluny-orient-occident-2008.pdf

Glossaire

Chrisme : Symbole chrétien formé par la superposition des deux premières lettres du nom du Christ en grec : le « X » (chi) et le « P » (rhô). Elles sont parfois complétées par la première (alpha) et la dernière (oméga) lettres de l’alphabet grec, afin de signifier que Jésus-Christ incarne à la fois le commencement et la fin de toute chose.

Intaille : Pierre dure gravée d’un motif en creux.

Nimbe : ou auréole. Cercle, souvent doré dans la peinture, que l’artiste représente derrière la tête de saints personnages.

Ottoniens : Dynastie de souverains qui, de 919 à 1024, ont régné sur la Germanie, partie orientale de l’empire de Charlemagne divisé à la suite du traité de Verdun en 843. Elle doit son nom à Otton Ier, qui mène une politique d’expansion, fonde le Saint Empire romain germanique et se fait couronner empereur à Rome en 962. Elle s’éteint avec Henri II le Saint, qui meurt sans descendance en 1024.

Rédemption : Mystère et dogme qui, dans la religion catholique, veut que le sacrifice du Christ sur la croix ait lavé l’humanité de ses péchés.

Renaissance carolingienne : On appelle Renaissance carolingienne le renouveau artistique qui commence avec le règne de Charlemagne et qui se caractérise par un retour aux modèles antiques.

Donateur : Personne qui offre à une institution une œuvre d’art.

Règle de saint Benoît : Règle monastique mise en forme par saint Benoît au VIe siècle, qui constitue une véritable réforme de la vie spirituelle et matérielle des moines. Elle se diffusa dans la chrétienté tout au long du Moyen Âge et fut adoptée par de nombreuses communautés bénédictines ou cisterciennes.

Repoussé : Technique de métallurgie qui consiste à obtenir un motif en relief en travaillant une plaque de métal par l’arrière, en le « repoussant » à l’aide d’un poinçon.

Saint Benoît de Nursie : Fils d’une noble famille établie à Nursie en Italie, Benoît (vers 480-547) fuit les tentations de la ville et se réfugie à Subiaco pour mener une vie d’ermite. Une première communauté de moines s’y regroupe autour de lui. Il fonde l’abbaye du Mont-Cassin, qui deviendra la maison mère de l’ordre bénédictin, à laquelle il dicte une règle de vie, la règle de saint Benoît, qui va déterminer le développement de tout le monachisme occidental jusqu’à l’apparition des ordres mendiants au début du XIIIe siècle.

Trésor : Le terme trésor désigne à la fois un ensemble d’objets précieux et le lieu qui les abrite.

Ordres mendiants : Ordres monastiques chrétiens dont l’apparition en Europe au XIIIe siècle est motivée par la volonté de revenir à un modèle de vie simple dans l’esprit des Évangiles. Ces moines refusent les biens matériels et ont recours à la charité pour subvenir à leurs besoins. Les principaux ordres mendiants sont celui des franciscains et celui des dominicains.