Trame noire Kandinsky Wassily

Trame noire

Avec l'arc noir

Dimensions

H. : 96 cm ; L. : 106 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

1922

Lieu de conservation

France, Nantes, musée d'Arts de Nantes

Un tableau abstrait ne montre plus ni objet ni sujet. Mais alors, que raconte la peinture ?

Le Russe Vassily Kandinsky décide assez tardivement de se consacrer à la peinture. Il élabore un langage autonome de la couleur. Il est considéré comme le père de l'abstraction lyrique. Dix ans s'écoulent entre sa première œuvre abstraite et Trame noire image principale, tableau qu'il peint en 1922. À cette date, Kandinsky est invité à venir en Allemagne pour enseigner au Bauhaus, école d'arts appliqués fondée par Walter Gropius à Weimar en 1919.

Une œuvre abstraite

Un échiquier blanc et noir est placé au centre et contraste avec un univers onirique de couleurs et de lignes tout autour. Dans un ciel azur et blanc flottent des formes géométriques abstraites. Dans la pédagogie du Bauhaus, le damier servait à étudier la construction de l'espace et à explorer la quatrième dimension, c'est-à-dire le rapport au temps. Le peintre Paul Klee, professeur au Bauhaus et ami de Kandinsky, en expérimente lui aussi les propriétés, par exemple dans En rythme image 1 . Il est possible qu'avec sa Trame noire, Kandinsky ait joint la provocation à l'humour pour contrer les théories de son compatriote Malevitch, qui est parti du carré noir sur fond blanc pour arriver au presque « rien » de la peinture dans son Carré blanc sur fond blanc.

Une aventure de peintre entre fantaisie et rigueur

Contrairement à Malevitch, Kandinsky considère la peinture bien vivante. Un événement décisif l'a dirigé vers la carrière de peintre : en 1895, alors qu'il visite une exposition impressionniste à Moscou, il est frappé par le crépitement coloré d'un tableau de Claude Monet et s'aperçoit en reculant qu'il s'agit d'une meule de foin !

Dans Trame noire, nous pouvons remarquer que, malgré l'aspect général abstrait du tableau, il subsiste des bribes de réalité. En bas à gauche, des bateaux fendent l'eau et des poissons volent détail b. À droite, un rideau brun restitue l'illusion que nous regardons par la fenêtre.

Quand il peint Trame noire, Kandinsky a déjà pris conscience depuis plusieurs années de la force de la peinture au-delà de la représentation figurée. En Allemagne où il s'est installé en 1908, il a en effet peint des paysages vibrants d'énergie encore assez descriptifs, mais dont les titres, Improvisations et Compositions, ne renvoient plus à une image figurée. C'est à cette époque que, rentrant un soir dans son atelier, il avait eu un choc en regardant de biais l'un de ces tableaux sur son chevalet, ce qui l'amena à écrire : « Je sus dès lors expressément que les objets nuisaient à ma peinture. »

Un fou de couleur

La quête de la peinture pour Kandinsky s'appuie sur la puissance d'émotion que détiennent les couleurs. Pour renforcer leur pouvoir d'expression, il ne les enferme plus dans le dessin. Les lignes se distinguent des formes et rythment la composition en dehors des plages colorées détail c.

Le peintre rédige un ouvrage théorique essentiel dans son aventure vers l'abstraction entre 1909 et 1912 qu'il intitule Du Spirituel dans l'art. À propos du tableau Avec l'arc noir image 2, l'un de ses premiers tableaux abstraits, il décrit dans ce texte un monde de peinture autonome en expansion : « Toute œuvre naît, techniquement, comme est né le cosmos par des catastrophes qui, du hurlement chaotique des instruments finissent par former une symphonie, la musique des sphères. » Les noyaux colorés disposés dans cette œuvre vibrent comme des organismes vivants. Kandinsky attribue dès ce moment des significations symboliques et sensorielles à chacune des couleurs. Le bleu évoque le froid, le silence et le goût de la figue fraîche selon lui. Il faut utiliser le jaune avec modération car sa lumière envahit tout, il a le son fort de la trompette. Le rouge suggère la palpitation de la vie. Progressivement les couleurs sont stabilisées dans des formes géométriques. Dans Trame noire, un ovale rouge attire notre œil, des triangles colorés s'entrecroisent et des soleils jaunes donnent vie à la composition. Plus tard, Kandinsky attribuera de manière plus rigoureuse une couleur à chacune des formes géométriques essentielles : le jaune au triangle le rouge au carré le bleu au cercle.

Du spirituel dans l'art

Kandinsky est poussé par un désir d'harmonie spirituelle dans la peinture en réponse au sentiment d'aliénation et aux conflits sociaux de la société moderne. Au-delà de son travail sur les formes, sa démarche doit beaucoup au Traité des couleurs que Wolfgang Goethe (1749-1832) a publié en 1810. Poète, scientifique et ami des peintres, Goethe y expose les théories issues des expériences qu'il a menées sur la perception des couleurs et leur impact sur la sensibilité humaine. Mais Kandinsky s'intéresse aussi à des courants de pensée plus récents, comme la théosophie qu'il découvre au travers des écrits de Rudolf Steiner (1861-1925). Peintre lui-même, Steiner a contribué à l'émergence de la peinture abstraite. Il attribue aux couleurs des qualités qui leur donnent une signification et il considère que c'est par ces qualités que l'artiste insuffle vie et spiritualité à la matière.

Isabelle Majorel

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/trame-noire

Publié le 18/09/2013

Ressources

Sur Goethe, un ouvrage de fond de Libero Zuppiroli : Le Traité des couleurs de Goethe : voisinages et postérité

http://infoscience.epfl.ch/record/128873/files/ArtGoethe_LZ.pdf

Un dossier pédagogique « La Naissance de l’art abstrait »

http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-abstrait/ENS-abstrait.html

Un dossier pédagogique pour les enseignants du primaire : « Vassily Kandinsky, jaune-rouge-bleu »

http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-Kandinsky-jaune-rouge-bleu/ENS-Kandinsky-jaune-rouge-bleu.htm

Glossaire

Surréalisme : Courant artistique très lié à la littérature, qui se développe à partir des années 1920. En 1924, André Breton définit le surréalisme comme un « automatisme pur », une « dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison ».

Théosophie : Philosophie ésotérique dont les adeptes se regroupent en société à New York à la fin du XIXe siècle, avant d’essaimer en Europe. Elle repose sur une approche syncrétique des religions et sur une certaine fascination pour les croyances orientales telles que la réincarnation.

Bauhaus : École d’arts appliqués fondée par Walter Gropius à Weimar (Allemagne) en 1919 et fermée par le régime nazi en 1933. Son rayonnement perdure par l’exil de ses membres. Elle propose de faire la synthèse entre les arts, l’artisanat et l’industrie. Tout le design contemporain en découle.

Abstraction lyrique : Forme d’art abstrait qui privilégie l’expression de l’émotion, à la différence de l’abstraction géométrique, centrée sur la combinaison des formes.

Composition : Manière de disposer des figures, des motifs ou des couleurs dans l’élaboration d’une œuvre.

Impressionnisme : Courant artistique regroupant l’ensemble des artistes indépendants qui ont exposé collectivement entre 1874 et 1886. Le terme a été lancé par un critique pour tourner en dérision le tableau de Monet Impression soleil levant (1872). Les impressionnistes privilégient les sujets tirés de la vie moderne et la peinture de plein air.