La Liberté guidant le peuple (28 juillet 1830) Eugène Delacroix (1798-1863)
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Détail des tours de Notre-Dame de Paris et de la signature du peintre
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L’ouvrier manufacturier et l’homme vêtu d’une redingote noire
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Détail du « gamin de Paris »
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Détail de l’amoncellement aux pieds de la Liberté
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Détail du cadavre au premier plan à gauche, inspiré de celui du "Radeau de La Méduse" de Géricault
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Détail du cadavre ayant inspiré Delacroix
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Sur une barricade constituée de pavés et de poutres, trois cadavres sont étendus image principale . Une femme armée, poitrine nue, coiffée d’un bonnet phrygien, s’élance en direction du spectateur. Elle brandit le drapeau tricolore, qui se détache sur un fond de fumée blanche et constitue le sommet de cette composition pyramidale.
Au second plan et autour d’elle, des hommes du peuple en armes la suivent, déterminés. Derrière eux, une foule compacte semble réunir des centaines d’insurgés, parmi lesquels un étudiant polytechnicien, coiffé d’un bicorne. À droite, en contrebas des tours de la cathédrale Notre-Dame, une poutre porte la signature du peintre et la date d’exécution du tableau image b : « Eug. Delacroix 1830. »
Le sujet n’est peut-être pas celui qu’on croit
Associé dans l’inconscient collectif à l’idée de république, ce tableau célèbre en réalité la révolution de 1830 et l’avènement de la monarchie de Juillet. Il se réfère au deuxième jour des combats, le 28 juillet, moment clé où les insurgés l’emportent sur les soldats du roi Charles X.
Quatre jours auparavant, celui-ci a promulgué quatre ordonnances destinées, entre autres, à dissoudre le Parlement pour mettre un terme à son opposition et à limiter la liberté de la presse. Ces ordonnances déclenchent la fureur populaire. Au terme de trois jours de luttes violentes dans les rues de Paris, les « Trois Glorieuses », Charles X est déchu. Les députés font alors appel au duc d’Orléans. Le 9 août, celui-ci devient Louis-Philippe Ier et jure fidélité à la charte constitutionnelle.
Quelles sont les intentions du peintre ?
Eugène Delacroix, fils d’un ancien ministre et haut fonctionnaire favorable à l’empereur Napoléon Ier, conserve sa vie durant un fort attachement au bonapartisme. Il ne témoigne pas de sympathie pour d’autres régimes politiques. La violence et le désordre inspirent même de la répugnance à cet homme de goût, qui redoute les « faiseurs de république ».
Pourquoi peint-il alors, quelques mois après les événements, un tableau rendant hommage aux insurgés ? Est-il touché par l’aspiration du peuple à la liberté ?
Peut-être le jeune peintre de 32 ans, inquiet pour l’avenir de sa carrière, voit-il ici l’occasion d’impressionner le nouveau roi. Il vient effectivement d’essuyer un échec teinté de scandale avec La Mort de Sardanapale image 1 au Salon de 1827, et a besoin de commandes officielles pour assurer sa subsistance. Pour cela, il se doit de plaire au nouveau régime. Le tableau est peint en trois mois, à la hâte, dans le but d’attirer l’attention au Salon de 1831.
Peut-être aussi cède-t-il à la mode ? La révolution récente inspire effectivement de nombreux artistes contemporains, graveurs, peintres image 2, écrivains (Gérard de Nerval) et compositeurs (Daniel Auber).
Le respect d’une très ancienne tradition
Delacroix se lance comme défi de traduire en page d’histoire un événement contemporain dont il a été le témoin. Pour cela, il choisit de mêler le symbolique au réel.
Le personnage de la Liberté est une allégorie, un principe déjà utilisé par le peintre dans La Grèce sur les ruines de Missolonghi image 4, où les malheurs de la Grèce sont aussi incarnés par une femme. Ici, l’iconographie de la Liberté fait référence à différents éléments de la Grèce antique : le bonnet phrygien, associé à la notion de liberté, car dans l’Antiquité, les maîtres le remettaient à leurs esclaves lors de leur affranchissement, (symbole repris par les révolutionnaires de 1789) image 3. On remarque par ailleurs le profil droit de la Liberté, qui se détache sur le fond clair, à la manière d’une effigie sur une monnaie ancienne. Enfin, la poitrine dénudée est une manière d’idéaliser la jeune femme, de la représenter comme une déesse antique.
Un traitement moderne et déconcertant
La figure de la Liberté présente aussi des aspects très humains : un visage aux joues empourprées, des formes massives et, sous le bras levé, une zone d’ombre suggérant la pilosité.
Quant aux personnages qui l’entourent, ils sont traités avec réalisme. À gauche, un ouvrier manufacturier lève un sabre : il est vêtu d’un tablier, porte un pistolet à la taille noué dans un mouchoir rouge et arbore une cocarde rouge et blanche sur son béret. À côté de lui, se trouve un homme portant une redingote, une cravate et un haut-de-forme noirs, sans doute un artisan ou un chef d’atelier image c. À droite de la Liberté, un « gamin de Paris » portant une gibecière brandit deux pistolets image d; Victor Hugo s’en inspirera trente ans plus tard pour le personnage de Gavroche dans son roman Les Misérables. Chacune de ces figures incarne une catégorie de la société. Les visages marqués d’ombres, peints à larges traits, expriment la violence de l’action.
Ce mélange déconcertant de références abstraites et de traitement réaliste provoque l’incompréhension lors du Salon de 1831. Les critiques dénoncent « les figures salies de sang et de boue » des insurgés, évoquant les bas-fonds plutôt que l’héroïsme, ainsi que le manque d’idéalisation de la Liberté, traitée de « poissarde » et de « sale et éhontée fille des rues ». Certains s’interrogent même sur la sincérité de Delacroix et se demandent s’il ne porte pas sur la révolution un regard ironique.
Un manifeste esthétique
Delacroix, qui n’a pas pris part à l’événement, est un « révolutionnaire » sur le plan artistique. Il fait partie de la génération romantique et il est fortement influencé par son ancien camarade d’atelier, Théodore Géricault, auquel il voue une grande admiration. La modernité du sujet, la rapidité de l’exécution, la touche large et apparente, la palette sombre, chargée de dramatiser la scène image e, sont autant d’éléments déjà présents dans Le Radeau de La Méduse image 5 de son aîné. Le cadavre du premier plan à gauche image f est d’ailleurs une citation d’un détail du tableau de Géricault image 6.
Une œuvre qui échappe à son auteur
Ce tableau, aujourd’hui si célèbre, est resté inaccessible au public pendant une bonne partie du XIXe siècle. Acheté par Louis-Philippe à l’issue du Salon de 1831, il est mis en réserve l’année suivante en raison de son sujet jugé subversif, puis récupéré par Delacroix. Exposé brièvement en 1848 puis lors de l’Exposition universelle de 1855, il ne prend place sur les cimaises du Louvre qu’en 1874, onze ans après la mort de l’artiste.
Les IIe et IIIe Républiques, avides de nouvelles images, façonneront celle de Marianne, incarnation de la République et mère de la Patrie, elle aussi coiffée du bonnet phrygien et associée au drapeau tricolore image 7. Dès lors, le tableau de Delacroix devient l’image de toutes les luttes en faveur de la démocratie, le miroir du peuple français dans ses aspirations à la liberté mais aussi, peu à peu, une image universelle, reprise par les régimes ou les groupes de combattants à travers le monde.
Preuve de son intemporalité, La Liberté guidant le peuple inspire encore de nos jours la publicité, l’art de l’affiche, les vidéoclips et le street art image 8.
Un reportage en trois parties sur l’œuvre par le Canal éducatif à la demande (CED)
Une vidéo d'Histoire par l'Image.
Permalien : https://www.panoramadelart.com/liberte-guidant-le-peuple-delacroix
Publié le 29/09/2021
ressources internet
- Une étude historique et iconographique du tableau sur le site L’Histoire par l’image
https://www.histoire-image.org/fr/etudes/liberte-guidant-peuple-eugene-delacroix - Une analyse d’une des études préparatoires de Delacroix par le musée national Eugène-Delacroix
http://www.musee-delacroix.fr/fr/collections/chefs-d-oeuvre/esquisse-pour-la-lib - Voir aussi le site Histoiredesarts.culture.fr
Si vous connaissez des ressources intéressantes, partagez-les en nous envoyant un commentaire !
glossaire
- Barricade :
- Amoncellement d’objets divers pour bloquer une rue et se protéger dans un combat urbain.
- Bonapartisme :
- Courant politique souhaitant un régime avec, à sa tête, un membre de la famille Bonaparte ou, dans un sens plus général, système politique dans lequel l’État est fort et centralisé mais avec une base républicaine.
- Bonnet phrygien :
- Appelé « bonnet de la liberté » en 1789, il dérive des petits chapeaux triangulaires portés par les esclaves affranchis dans la Rome antique. La couleur rouge est adoptée à la Révolution, en référence aux manifestants bretons aux « bonnets rouges ».
- Cocarde :
- Chapeau ou rubans portés au XVIIIe siècle à titre décoratif ou pour exprimer des idées politiques. Le nom vient d’un chapeau en forme de crête de coq, porté au XVIe siècle.
- Salon :
- Au XVIIIe siècle les expositions des membres de l’Académie royale de peinture et de sculpture se tenaient dans le Salon carré du Louvre. Le terme « Salon » désigne par la suite toutes les expositions régulières organisées par l’Académie.
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