La Main aux algues et aux coquillages Gallé Émile

La Main aux algues et aux coquillages

Auteur

Dimensions

H. : 33,4 cm ; L. : 13,4 cm

Provenance

Technique

Cristal partiellement soufflé et modelé à chaud, inclusions, applications, gravé à la roue

Matériaux

Cristal

Datation

1904

Lieu de conservation

France, Paris, musée d’Orsay

Comment la science dialogue-t-elle avec l’Art nouveau ?

En 1904, Émile Gallé présente une étrange sculpture de cristal à l'exposition des Arts décoratifs de Nancy : une main droite déformée, aux doigts démesurément allongés, qui surgit d'une base de cristal bleu suggérant une vague image principale. La chair est traitée avec une couleur transparente ambrée, bien loin d'une carnation réelle. Des algues, plus foncées, montent à l'assaut du poignet et enserrent la paume. De curieuses bagues en forme d'animaux marins et de coquillages ornent les doigts image b. Seul le cristal, refroidissant moins vite que le verre et permettant de ce fait un modelage à chaud, autorise un travail aussi sophistiqué de la masse vitreuse. Dernière œuvre importante de Gallé, La Main aux algues et aux coquillages allie une imagination fertile à une virtuosité technique rare.

Sculpture ou objet d'art ?

En 1877, Émile Gallé prend la succession de son père à la tête d'un commerce et d'une fabrique de verre et de porcelaine implantés en Lorraine. Il développe les activités de l'entreprise en créant un département consacré à l'ébénisterie image 1.

Mais c'est à la verrerie d'art que Gallé s'intéresse particulièrement. Alors que le verre est traditionnellement associé à des objets utilitaires, tels que les verres à boire ou les vases, La Main aux algues et aux coquillages, elle, n'a pas de fonction pragmatique. Elle s'impose comme un objet d'art à part entière, exclusivement dédié à la délectation esthétique. En créant une sculpture de cristal, Gallé abolit la frontière entre l'art « majeur » qu'est la sculpture et les arts « mineurs » que sont les arts appliqués (illustration, verrerie, ébénisterie, céramique).

Une œuvre de collaboration

Gallé a reçu une formation très complète, associant une culture humaniste et littéraire à des connaissances scientifiques indispensables à la maîtrise de matériaux nécessitant une cuisson ou une fusion (les arts du feu). Il a également appris à souffler le verre. Néanmoins, sa fonction est d'inventer la forme sur le papier. À partir de ses premières esquisses, un dessinateur professionnel réalise une aquarelle détaillé image 2 qui servira de modèle pour le travail de soufflage et de modelage effectué par un maître verrier. Tout au long de la réalisation matérielle de la sculpture, un dialogue s'établit entre ce dernier et Gallé.

La verrerie d'art nécessite, en effet, l'alliance de multiples compétences : une connaissance précise en physique et en chimie, un savoir-faire de maître verrier et une imagination créatrice.

Pièce unique ou série ?

Deux exemplaires semblables à l'objet exposé au musée d'Orsay sont conservés au musée de l'École de Nancy. Légèrement différentes les unes des autres, les mains semblent former une petite série avec variantes. L'existence de ces deux autres sculptures s'explique, d'une part, par la difficulté du travail du verre, soumis à une part de hasard en dépit de la virtuosité des maîtres verriers. Fabriquer plusieurs exemplaires en parallèle permet de réduire le risque d'échec en cas d'accident au cours de la réalisation. D'autre part, ce type d'objet, cher et difficile à concevoir, est peu rentable pour une verrerie. Fabriquer des variations est un moyen de mieux rentabiliser le temps passé à la conception. Cependant, il ne s'agit en aucun cas d'une production industrielle et une telle pièce reste expérimentale et très singulière par son statut ambigu entre sculpture et objet d'art.

Verre, mer et poésie

Homme très cultivé et grand lecteur, Gallé s'inspire de la littérature et cite régulièrement des vers sur les objets qui sortent de ses ateliers. La main sortant de l'eau fait pour sa part référence à la noyade, sujet du poème Oceano Nox de Victor Hugo . La déformation et la couleur de la main évoquent la chair gonflée ayant séjourné dans l'eau, tandis que la matière translucide et polie rappelle l'usure d'un véritable objet de verre balloté pendant des décennies dans la mer. Ainsi, loin d'être un simple exercice virtuose, La Main aux algues et aux coquillages est un passeport pour l'imaginaire. En 1904, elle est présentée dans une vitrine conçue par Gallé et intitulée « Les fonds de la mer ». La forme du meuble comme les objets qu'il contenait évoquaient les grandes profondeurs marines.

Océanographie et Art nouveau

La mer est une passion ancienne pour Gallé. Nombreuses sont ses œuvres, réalisées dans différents matériaux, qui y font référence, comme la jardinière « Flora marina, Flora exotica » dont la forme et le décor marqueté sont inspirés de l'univers marin. Mais le verre est sans doute la matière qui se prête le mieux à ces évocations : translucide, la matière vitreuse rappelle aussi bien l'eau des océans que la texture de certains animaux comme les poulpes ou les méduses, fréquentes dans l'œuvre de Gallé. Cette curiosité pour les motifs décoratifs issus de la faune et de la flore fait de lui un artiste majeur de l'Art nouveau français.

La connaissance du monde marin doit beaucoup aux travaux scientifiques de l'époque, et notamment aux progrès de l'océanographie. Gallé reste très attentif aux travaux des biologistes. Dans un discours, il compare les océanographes à des « magiciens des Mille et Une Nuits ». Il est possible qu'il s'inspire des dessins du biologiste Ernst Haeckel, qui s'attache à vulgariser par ses illustrations la connaissance de la faune marine. La Main aux algues et aux coquillages se trouve ainsi au croisement de multiples domaines, tant scientifiques qu'artistiques et techniques, et révèle la grande inventivité de son créateur.

Isabelle Bonithon

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/la-main-aux-algues-et-aux-coquillages

Publié le 23/05/2016

Ressources

Présentation de quelques meubles réalisés par Gallé, dont la jardinière « Flora exotica, Flora marina », sur le site du musée de l’École de Nancy

http://www.ecole-de-nancy.com/web/index.php?page=meubles-emile-galle

Un dossier consacré à Gallé sur le site de l’École de Nancy

http://www.ecole-de-nancy.com/web/index.php?page=emile-galle

Un site éducatif mettant en ligne des illustrations de Haeckel

http://data.abuledu.org/wp/?terms=Ernst%20Haeckel%20(1834-1919)

Glossaire

Haut-relief : Type de relief dans lequel les figures se détachent fortement du fond, à la différence du bas-relief.

Porcelaine : La porcelaine est une céramique qui se caractérise par la blancheur et la finesse de sa pâte. On distingue la porcelaine dure de la porcelaine tendre. La pâte de la porcelaine dure, la « vraie porcelaine », est composée de matières minérales naturelles : le kaolin, le quartz et le feldspath. C’est le kaolin, une argile primaire de couleur blanche, qui confère à la porcelaine sa blancheur et sa translucidité. Elle résiste aux variations de température. La porcelaine tendre est une porcelaine dont la pâte ne comporte pas de kaolin. Elle est composée essentiellement de marne calcaire blanche et de silice. De couleur blanc crémeux, elle est moins résistante aux chocs thermiques et peut se rayer à l’acier.

Art nouveau : Style qui se développe dès la fin du XIXe siècle, d'abord en Belgique et en France. Il s’épanouit dans l’architecture et dans les arts décoratifs. La recherche de fonctionnalité est une des préoccupations de ses architectes et designers. L’Art nouveau se caractérise par des formes inspirées de la nature, où la courbe domine.