Fragment de propulseur avec trois têtes de chevaux à trois âges différents

Fragment de propulseur sculpté et gravé de trois têtes de chevaux à trois âges différents

Auteur

Dimensions

H. 16,5 cm ; L. 9 cm ; P. 1,7 cm

Provenance

Ariège, grotte du Mas-d’Azil

Technique

Sculpture

Matériaux

Bois de rennes

Datation

Vers 15 000 av. J.-C.

Lieu de conservation

France, Saint-Germain-en-Laye, musée d'Archéologie nationale

Entre 1887 et 1894, Édouard Piette fouille la grotte du Mas-d'Azil, en Ariège, à la suite d'autres archéologues. Il y découvre de nombreux objets sculptés et/ou gravés, ce qui le confirme comme un acteur essentiel de l'étude de la Préhistoire et la mise en valeur de l'art paléolithique.
Mais que nous racontent ces objets sur la vie des hommes du Paléolithique supérieur ? Glissons-nous dans la peau d'un archéologue et observons cet objet sculpté en bois de renne pour deviner à quoi il servait et ce que signifiait son décor. Tentons ainsi d'entrer dans l'univers et les pensées des femmes et des hommes de la Préhistoire.

Sans la chasse, pas d'hommes de Cro-Magnon ?

Bien que fragmentaire, cet objet nous donne beaucoup d'informations [ image principale ].

On peut lui reconstituer un manche et un crochet. Il s'agirait donc d'un fragment de propulseur, un outil de chasse inventé par les hommes de Cro-Magnon au Solutréen. Utilisé avec une sagaie, il permet de la lancer plus loin et avec plus de puissance. Cela rend la chasse plus efficace et moins dangereuse puisque l'on s'éloigne de l'animal visé.

La chasse est en effet une activité essentielle au Paléolithique. Selon les régions et les périodes, rennes, chevaux, bouquetins, plus rarement mammouths, constituent la base d'une alimentation principalement carnée. C'est en partie pour suivre les migrations de ces grands troupeaux d'herbivores que les hommes sont nomades. Outre la chair et les organes consommés, les corps des animaux fournissent également de nombreuses matières premières : os, bois et parfois ivoire pour fabriquer des outils (aiguilles, harpons, pointes de sagaie…), des éléments de parure et des objets d'art mobilier, dents percées transformées en pendeloques, tendons et boyaux transformés en fils, peau et fourrure pour confectionner des vêtements, des couvertures ou encore des tentes…

Les animaux chassés sont donc indispensables à la survie des hommes de Cro-Magnon, qui ont tout intérêt à perfectionner leurs techniques de chasse par des innovations comme le propulseur.

Le cheval, star du Magdalénien

Trois têtes de chevaux sont sculptées et gravées sur le propulseur, qui est daté du Magdalénien. Cette période connaît une véritable explosion de l'art, qu'il soit pariétal ou mobilier, toutes techniques confondues. De nombreux objets portent des décorations. Les propulseurs ne font pas exception et un grand nombre d'exemplaires retrouvés ont été ornés, souvent d'animaux [ image 1 ] et de signes géométriques, parfois de figures anthropomorphes [ image 2 ].

Le cheval a particulièrement la faveur des artistes du Magdalénien qui le représentent très fréquemment, peint, gravé voire sculpté sur les parois de grottes [ image 3 ] et d'abris-sous-roche, à l'intérieur ou en extérieur. Avec le bison, il est l'animal le plus fréquemment figuré. Sculpté dans le bois de cervidé ou dans l'os [ image 4 ], il est saisissant de réalisme et de vie, comme la plupart des représentations à cette époque. Figuré sur l'os hyoïde, os de la gorge du cheval qui évoque naturellement la silhouette de la tête de l'animal [ image 5 ], il constitue alors un élément dont les perforations à l'œil et au naseau laissent penser qu'on pouvait le coudre sur un vêtement ou le suspendre. Le lien évident entre le matériau (os de cheval) et l'image (tête de cheval) n'est certainement pas dû au hasard, et ces objets possédaient peut-être une dimension symbolique qui nous échappe aujourd'hui.

Des questionnements existentiels ?

Le cheval ayant une place importante dans l'économie de subsistance des hommes du Magdalénien, il n'est pas étonnant de le retrouver aussi présent dans leur art, reflet de leurs mentalités. Mais comment expliquer qu'il soit aussi fréquemment représenté au détriment d'autres espèces couramment chassées, comme le renne, très peu figuré ?

Les hommes de la Préhistoire ne nous ont pas laissé d'écrits il nous est donc aujourd'hui difficile d'interpréter leurs différents modes de pensée de manière précise et affirmative. Nous ne pouvons essayer de nous en approcher que grâce à des hypothèses, comme celles très nombreuses défendues, débattues puis parfois réfutées par les préhistoriens depuis plus d'un siècle. Néanmoins, certaines images semblent plus facilement abordables que d'autres. Observons à nouveau les trois chevaux de notre propulseur. On voit une petite tête fine, puis, à l'envers, une tête plus grande avec la bouche ouverte, et enfin, gravé sur le manche avec une abondance de détails, un crâne décharné dont les dents mises à nu se distinguent nettement.

Si l'on part de l'hypothèse que les proportions ont été volontairement respectées, on pourrait alors identifier un poulain, un adulte et un mort. Sont-ce trois chevaux différents, d'une même famille ? Ou bien est-ce le même individu représenté trois fois ? Dans ce cas, l'auteur préhistorique a-t-il voulu matérialiser trois étapes de la vie, la jeunesse, la maturité, la mort ? Que pourraient symboliser ces étapes ? un résumé du déroulé d'une vie, de ses débuts à sa fin ? une image du temps qui passe, au niveau de l'individu ? ou à l'échelle de la nature, du rythme des saisons dont dépend la vie des hommes ? Est-ce un questionnement sur la vie, la mort, est-ce l'expression d'une fascination ou une manière d'exorciser ses peurs, ses incertitudes ? Mais alors, pourquoi choisir l'image d'un cheval plutôt que celle d'un homme ou d'une femme ? Quelles dimensions symboliques, religieuses, mythologiques ou encore philosophiques cet animal pouvait-il bien porter ?

Autant de questions qui nous permettent de tenter de comprendre ce que pensait celui ou celle qui a décoré ce propulseur, ses préoccupations, ses interrogations, ses goûts, peut-être pas toujours si éloignés des nôtres, une modeste ouverture sur les mentalités complexes des hommes et des femmes de la Préhistoire.

Fragment de propulseur gravé de trois têtes... by France Collections on Sketchfab

Ressources

Site de la grotte du Mas-d’Azil, pour visiter la grotte où a été découvert le propulseur

http://www.grotte-masdazil.com/-Grotte-du-Mas-d-Azil-.html

Site du musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye, pour découvrir les objets de la salle Piette

http://www.musee-archeologienationale.fr/

Site du Musée national de Préhistoire, aux Eyzies-de-Tayac (Dordogne), pour voir des objets du Paléolithique

http://www.musee-prehistoire-eyzies.fr/

Site du Parc de la Préhistoire à Tarascon-sur-Ariège, pour s’essayer au lancer au propulseur

http://www.grands-sites-ariege.fr/fr/parc-de-la-prehistoire/detail/6/presentation-3

Tout ce que vous voulez savoir sur l’art pariétal paléolithique

http://www.hominides.com/html/art/art_parietal3.php

Glossaire

Piette : Édouard Piette (1827-1906) est un archéologue et préhistorien qui a beaucoup contribué à la découverte de l’art préhistorique français.

Paléolithique : ou « âge de la pierre ancienne ». Première période de la Préhistoire qui, en France, s’étend entre 800 000 et 10 000 ans av. J.-C. environ. Elle est marquée par l’arrivée des premiers hommes : c’est l’époque des chasseurs-cueilleurs nomades.

Magdalénien : Culture du Paléolithique supérieur que l’on situe entre 17 000 et 10 000 av. J.-C. Elle tire son nom du site de la Madeleine à Tursac en Dordogne. C’est une importante période pour l’art pariétal préhistorique.

Art mobilier : Pour la période préhistorique, ensemble d'objets transportables qui constituent le support d’un décor, que ces objets soient utilitaires ou non.

Art pariétal : Décor réalisé sur une paroi rocheuse.

Propulseur : Sorte de bâton en os ou en bois animal d’une vingtaine de centimètres. Cet outil préhistorique est muni d’un crochet ou d’une gorge pour y maintenir l’extrémité de la sagaie que l’on pousse à l’aide du propulseur. Son utilisation permet d’augmenter la force du lancer, exactement comme un levier permet de soulever plus facilement une charge.